Quelque chose avait disparu. Je venais de m'installer chez Harmonie Solaire, en plein milieu du neuvième, un appartement royal. C'était mon cinquième changement d'adresse en six mois. Devant moi, les choses prenaient une forme relativement attrayante, puis se déformaient aussitôt. Mais ce simple mouvement me mettait en joie. J'avais encore peur, mais j'avais aussi appris à vivre avec. Je m'étais domptée, drastiquement. Tiens toi bien droite surtout, sois fière, tu as raison, de toute façon tu es tout ce que tu veux, car au fond tu n'es pas grand chose ni plus, ni moins. Je me sentais toute petite, mais ça grandissait en moi. L'idée d'abandon s'était transformée en stupeur.
Après quelques semaines de douce synergie, une brise glacée m'enveloppa. Je respirai avec peine une sensation pesante où chaque souffle était un effort spectaculaire. Et inclinée vers la lumière, l'iris verdoyant, je ressemblais alors de loin à un animal perdu, puni et blessé dans la solitude.
Allongée dans l'herbe un matin, je restais au contact du sol velu muette, lui qui chatouillait mon corps vierge. Mes faits et gestes semblaient être un mélange dérangeant de lassitude et de flagrant désir. J'aurais voulu pouvoir continuer seule, mais c'était impossible. J'avais sa bouche encore humide qui me balayait de part en part. Le souvenir était vivant. Et je restais gluée là. J'avais compris, que ce qui m'avait rendue légère ces jours-ci commençait à être source d'angoisse. Un chagrin-fleuve coulait. Je me dis à voix haute mes sentiments et regardais en l'air voir comment ils respirent.
Trois semaines après, je l'avais trompé deux fois en deux jours. Aucune retenue. Sauf ce ventre tendu qui m'agaçait encore. J'en avais rien à foutre, mouillée de partout. Je baladais ma langue sur ma bouche et mordais les autres. J'avais le regard noir, mais tout le monde me trouvait l'air triste. Je passais mes journées à les remplir de vice, la soirée je buvais et les voyages au bout de la nuit. C'était bon jusqu'au moment d'être épuisant.
Je tournais à saturation sous le ciel de Saturne. Et je repensais souvent, à Barbe Rousse et notre triptyque affolant. Les énergumènes pendus à mes bras, je quittais mon amant, dans l'espoir d'en retrouver cent. J'avais perdu le goût au véritable jeu. Celui qui fout la trouille et des frissons. Au lieu de ça, je trouvais intérêt à me retrouver seule. Ça me laissait du temps, du temps de cerveau disponible comme qui dirait. Je blaguais souvent, un peu à propos de tout. La vie m'apparaissait comme une gigantesque blague, à rebonds. Je retournais à mes anciens caprices, les yeux rouges et la gorge déployée. Je rencontrais de nouvelles personnes sans arrêt, et la fièvre jaune commençait à remuer ses ailes. Je m'amusais bien, en somme. Et si je pouvais danser c'était encore mieux.
J'écoutais les mêmes sons en boucle, je planais vraiment quand, soudainement, je réalisais ce qui se jouait. C'est un monde qui tourne et ondule sous mes yeux. Je fais semblant de tourner à l'envers, toujours cette histoire de saumon, et je vogue, semblable à une algue. Tout ça me met en bouche. Je pense, de manière sauvage. J'aime bien l'idée. Je pense à ces mois qui viennent de passer. Intrépide, je lance mes flèches. J'essaye de me voir du dessus, aspirant sans relâche des volutes de fumées qui ressortent de ma bouche cerise avec apaisement, mon chignon fou se penche, et je hausse les sourcils bien haut. Je me revois dans plein de situations finies, et serait tentée d'en faire des portraits à la Annie Ernaux. Au lieu de ça je traîne dans mon lit, de plus en plus tard chaque matin. Il est temps que je travaille mais je n'ai jamais tant apprécié lézarder. Il manque seulement le soleil. Comme un gros lézard donc, j'ondoie, et je manque les signaux. Je ne supporte pas qu'on m'appelle. Parfois, l'ambiance chez Harmonie se détériore. Le reste du temps ça va.
Si je savais faire j'écrirais des chansons d'amour. Mais je ne sais pas, alors je bourlingue. Ca bourdonne autour de moi, et je me lasse d'embrasser des bouches toutes plus vides les unes que les autres. Je n'en réclamerais qu'une pour le restant de ma vie si seulement j'osais croire qu'elle est remplie avec les bons ingrédients.