Atlas

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Assise en tailleur, des petites douleurs partout, une mèche de cheveux en guise de rideau, j'occulte le reste du monde un instant. Je m'ausculte c'est la guerre en dedans. J'ignore si sobre ou pas, il y a une différence : mes pensées qui arrivent par flash. C'est une expo photo permanente à l'intérieur de moi. J'ignore si sobre ou pas, je change de thème. Comme un vieux Diana F, les couleurs et les couches se superposent, telles des culottes. Je me demande encore qu'est-ce qui constitue l'origine de tout ; la durée, l'espace, le mouvement ou l'équilibre. Mais peut-être ce n'est rien. Peut-être qu'il n'y a pas d'origine ni de fin. Les mots sont des concepts et je nage dans l'océan de mes paroles intérieures. Que font mes sensations à part parler ?

Sur les quais d'Austerlitz j'ai froid. Je ne bouge pas, je suis bien là quand je relève les yeux je vois de l'eau, le ciel est poivre et sel mais au loin il y a un petit creux de lumière. Des anges regardent la télé. Quelle belle émission le monde. C'est à mourir de rire je parie. Je me souviens le petit cours d'eau de mon grand-père, il nous emmenait faire de la barque et m'appelait toujours sa petite pépée. Personne n'osait à l'époque me dire ce que ça signifiait. Maintenant je sais. Mon petit papi, car il était petit, il est mort maintenant. Qui a connu deux guerres mais ne m'en a pas raconté une. Prisonnier en Allemagne il n'était pas sur le front bien longtemps, je ne sais pas si c'est à cause de son nez. Je me demande aujourd'hui s'il n'était pas un peu juif, son nez. Je me demande si ça changerait ma vie de savoir ça. Je me demande aussi si ça changerait ma vie de ne plus avoir mes petites douleurs partout. Sans la souffrance c'est encore moi ? Je ne me souviens pas d'un moment où je n'avais mal nulle part. Qu'on me donne une loupe à sensations ! Pardon d'être si désorganisée, mon cerveau est quelque peu chaotique. On m'a dit de l'imaginer flottant en train de se détendre, je lui ai rajouté une paille pour siroter un cocktail. Très important la paille. Les gros-riches l'ont bien compris, Ron Mueck l'a oublié, son type dans la piscine avait pourtant le décor parfait : l'eau c'est l'essentiel mais c'est mieux quand elle est nature, sinon ça pue, et puis ne jamais oublié le cocktail, fondamental le cocktail. S'injecter un peu d'alcool dans le sang est un poison délice. Ça vous reconnecte avec autre chose. Ce je ne sais quoi qui fait qu'on n'est pas vraiment soi. Les pourcentages inutilisés du grand monsieur au cocktail sûrement. Faut bien ça pour oublier qu'on nique la terre entière.

J'ai froid tout de même.

Merde, Paris.

Ca pue un peu c'est vrai. Mais mon nez est content, un qui ne se plaint jamais, les odeurs le font rire et c'est rare qu'il oublie de respirer. Parfois un peu d'apnée. J'ai trouvé l'origine. L'origine ça respire. Sinon c'est la mort, mais la mort peut-être respire ?

Sinon comment ça existe.

A ma gauche, il y a un double pont à piétons. Ce n'est que des entrecroisements de gens qui passent et se croisent sans se voir. Celle-ci se traîne carrément.

Une petite piquouze mamie ?

Soyez pas méchants avec les vieux, la plupart ont oublié pourquoi ils sont là. Ma grand-mère est veuve et folle. Elle l'a toujours été je crois. C'est que je ne sais pas si la folie naît en même temps que nous ou si elle se loge peu à peu. Peut-être qu'elle a une loge justement mais que quand on la titille un peu trop elle ouvre ses rideaux et là c'est le spectacle. C'est merveilleux les gens fous. Ils ont changé de dimension. Je me demande si ça leur fait comme moi quand j'atterris dans la quatrième dimension. Celle-ci est la plus dure à atteindre, ça demande de l'entrainement, mais ça vaut le détour. Ça fait un peu cet effet là, écoutez. La première dimension, plate, c'est nous dans le monde, on est posé là avec nos racines. La seconde c'est facile, mais tout le monde n'y arrive pas. Pas besoin de toucher aux racines, il suffit simplement de tirer un peu en arrière. Avec du recul donc, on peut s'observer en train d'interagir avec le monde. Ça ouvre déjà pas mal de portes. Tiens, faites moi penser de vous parler d'Alice avec son lapin blanc, ça aussi c'est une merveille. Dans la troisième dimension on s'observe en train de s'observer. Là c'est déjà autre chose, les perceptions spatio-temporelles se diluent, se métamorphosent ou s'intensifient je ne sais pas, mais en tout cas elles changent. Tout est question de durée. C'est génial on perçoit des trucs qui nous échappent complètement en temps normal. Oui c'est ça la troisième dimension c'est l'accentuation. Tout est plus fort, les sons, les odeurs, les détails dans les images, le reste est distordu. C'est dans la quatrième qu'on est vraiment ailleurs. Le cerveau flotte pour de bon j'imagine parce que c'est bizarre comme sensation. Thank God for mental illness. Bien que je ne crois pas au Bon Dieu, ni même au mauvais. Tout le monde a l'air d'être rassuré par sa présence. Faites, faites donc. S'il n'y avait que ça. Oh, c'est la merde partout, tiens d'ailleurs les anges ont éteint leur télé. Il caille drôlement, c'est décidé, je pars.

Dehors, les nuages de la mer morte ont disparu. L'orage tonne de tout son soûl, les éclairs jaillissent comme des lames de schlass de bandits. J'entends un râle, incapable d'identifier sa nature. Sous ma couette, il fait encore plus froid. Je n'ai plus sa présence, ses cheveux doux que je caresse sans cesse, son odeur qui me came, sa peau sa peau sa peau douce, ses yeux qui transpercent. Je l'aime si fort que ça me déchire le cœur. Je me rends bien compte qu'il est tordu, lui aussi. Il me rend folle. Le repos de l'ange est un sous-bois en Avril, il profite des derniers jours du Printemps pour achever sa métamorphose. Plein, fugace, une myrtille rose que l'on cueille jalousement, le cœur de l'ange est sacré.

Le désordre des ombresWhere stories live. Discover now