Je suis seule, adossée contre ma chaise, elle strie délicatement mes cuisses. Il n'est pas encore très tard, le ciel est pourpre sur le balcon. Derrière moi, la musique respire un autre univers. Les notes s'envolent en l'air, hélium infidèle. Je songe, depuis vingt-trois ans, à notre système solaire. J'imagine le ciel en un miroir géant. On pourrait peut-être se sonder de l'intérieur, introspection de soi-même par soi-Dieu. Parce que je n'ai pas bien compris ce que l'on fait sur terre, personne ne l'a. Que personne non plus ne sait ce qu'il y a ailleurs, au-delà de la limite visible, qui ne l'est déjà pas, ailleurs que l'univers c'est quoi ?
Observant la plupart de mes semblables, je ne trouve aucun intérêt dans leurs yeux. Je ne sais pas ce qu'ils regardent, ça n'a pas l'air très captivant. Je me demande ce qui les meut, et les émeut, encore mieux. Mais la surprise est d'autant plus vive lorsqu'un regard vide vous dévoile ses intimes profondeurs. Il n'est pas conscient de tout, mais c'est peut être pire encore.
Je tente une observation en interne. Je commence donc par disséquer mes membres, un par un, vérifier si tout va bien. Erreur dans le système, des bugs ont été repérés à différents endroits. Encore ce foutu ventre ? Le cœur n'est pas bien mieux, il frappe en cadence, mais il n'a pas l'air vigoureux, il hésite quoi, il est pas sûr de tenir le bon bout. Et le foie... Bon bon, on va rester en externe. Remontez dans le cerveau les mecs s'il vous plait. J'envoie donc ma quadrille inspecter le cœur de ma tête. Externe ? Oui, votre cerveau n'est pas dans votre corps mademoiselle, il s'est barré, transformé, engouffré par l'esprit, celui-ci est maniaque. Ah bonsoir. Est-ce donc possible de le visiter ? J'ai bien peur que non, mais vous pouvez toujours toquer à sa porte. Il a l'habitude de ce genre de bruits, peut-être ne réagira t'il pas. Effectivement, ce n'était pas œuvre facile. J'essayais d'atteindre alors à un entendement symplectique.
J'avais envie de pleurer. Mais je faisais ça bien trop souvent. La lune avait évincé le soleil. Ça m'en disait pas plus sur le système solaire.
Quand je tournais la tête, je croyais voir une interminable dune de sable. J'aurais voulu l'égrainer pour passer le temps. Il me manquait la houle des vagues, mais en contrepartie j'étais à l'abri du vent. J'arrivais toujours pas en avoir le cœur net. De qu'est-ce que je foutais là, sensiblement. Quel était mon but assigné ? M'avait-on demandé quelque chose ? Ah non, j'avais le droit de vivre en me laissant regarder la terre tourner. Pas mal me disais-je, jusqu'à en avoir marre. Une fois la fumée dispersée, je découvrais une nouvelle disposition autrefois mal apprivoisée. Le continuum spatio-temporel avait changé d'organisation. L'ordre était rompu, le silence aussi. La lune rouge d'élan provisoire faisait la ronde du ciel. Je me permettais un instant d'abandonner toute forme d'intelligence domptée, au lieu de ça j'élaborais des plans d'attaque fantasques, digne d'une guerre sans nom.
Contre quoi ? Je l'ignorais. Mais je voulais renverser l'harmonie pour créer un nouveau genre d'équilibre diurne. Pour cela, je n'avais pas besoin de grand-chose si ce n'est d'un peu d'imagination directive.
Les traces laissées sur la chair douce et molle de mes cuisses incurvaient en moi tel un sillon abrupt. Mon esprit était précipice à toute idée neuve, mes pensées se noyant dans la fange brune fouettant la falaise de mon cerveau.
En ébullition, mon sang tournait quatre fois plus vite que la moyenne afin de nourrir mes globules et aérer à minima mes conduits vaseux. Mi-clos, mes yeux ne devaient plus être très acerbes à ce moment-là, aussi paisible qu'une couleuvre grisée. Je penchais dans tous les sens à la recherche d'une position confortable, que je ne trouvais point. Les supernova commençaient tout juste leur décomposition, et je pensais à Dalys. Il m'avait longuement expliqué leur fonctionnement, ça, et tout le reste, ses parents psy aussi, la forme que prenait son visage était alors différente. Il avait les yeux qui brillent souvent, plein de savoir et de talent, de réserves naturelles en somme. On s'aimait beaucoup l'un l'autre. J'avais compris beaucoup de choses, et déclaré forfait pour tout le reste.