Equinoxe

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Soleil, terrasse. Nuit de rêves au sommeil meurtri. 11.11. Acte 1.

La construction se fait dans les pensées dit-elle. Et lorsqu'elle veut écrire plus rien n'est là. Elle dédouble tout ce qu'elle fait. Comme tout le monde elle a deux narines dans son nez, comme certains elle a deux mains complices, mais c'est surtout ce qui est unique dans son corps qu'elle voit par deux. Deux cœurs ou deux foies. Un réel, et un imaginaire qui est là pour supporter tout ce que l'autre ne supporte pas. Elle a froid, l'Armistice est baignée de courants d'air. Ses poils s'hérissent, et le sang peine à affluer dans chaque recoin pour tout nourrir simultanément. Ça l'énerve. Décidément mal fichu ce bordel de corps humain. Cesser de penser, faire. Alors, elle fait. Mais elle se disperse.

Tout est là, il suffit de retrouver le chemin. Mais c'est tellement emmêlé, tous ces nœuds. Dans le dos, dans les cheveux, dans le cerveau, dans le cœur. Ça bouge, ça fout le vertige. Elle tient plus debout. Pourtant c'est sa position préférée. Voyez, elle a froid. Mais n'est-ce pas dans sa tête ? Le mois de Novembre, c'est le sien. Le mois le plus terrible de l'année. C'est vrai, n'est-ce pas ? C'est automnal et hivernal à la fois. Les feuilles sont rousses comme des canards, ceux qui trempent dans la marre ou dans le café. Elles sont encore bien attachées aux arbres, mais le café refroidit, elles se détacheront peu à peu. Le soleil fait des rondes dans le ciel mais souvent il s'éclipse et laisse les nuages manger tout l'espace. Parfois même il y a de la pluie. Alors c'est terrible, n'est-ce pas, la pluie tout d'un coup alors qu'il faisait aussi beau. C'est déconcertant. Novembre est un mois sans saison. Tout est là en même temps, même l'été et le printemps. Si, oui, je vous l'assure. Novembre lui appartient, elle sait de quoi elle parle. C'est l'été dans son cœur, le printemps dans son âme. Tout est vivant, ou plutôt tout renaît. Ça la rapproche satanément de la mort. Pour vous aussi le froid est insupportable ? Ne mentez pas !

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Disparition du soleil. Acte 2.

Les cigarettes s'enchaînent et ne se ressemblent pas. La pensée s'écarte de son origine. Elle veut bien faire, mais elle ne sait pas s'y prendre. Pas avec lui. Que le Loup retourne aux steppes, il hurlera à la mort sans elle. Retrouver l'être aimé, et lui annoncer la fin. Une bonne fois pour toutes.

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Avenue d'Italie. Acte 3.

Ce n'est pas dans ce pays qu'elle va, mais elle part sans doute à l'étranger. Elle part à sa rencontre. Dans la rue, avec son manteau bariolé comme une grosse couette chamane, les poches remplies d'essentiel. Ses affaires à lui serrées dans un petit sac en toile, superflu nécessaire. Qu'elle attend impatiemment de lui jeter à la figure. Elle ne l'a pas encore réalisé, mais elle ne le fuit plus.

Sur le trottoir de gauche, elle a décidé de se mettre de son côté. Elle longe l'avenue, regardant les voitures et les gens qui fument. De temps en temps elle relève la tête mais au lieu de voir le ciel elle voit des graffitis et des tableaux publicitaires. Déterminée, rapide, elle s'empresse d'arriver à destination. Elle ne l'a pas encore réalisé, mais elle est impatiente de le voir.

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Codes. Le cœur qui bat, le ventre qui brûle. 16h05. Elle entre. Acte 4.

Il fait nuit noire dans sa chambre, ça sent le haschich. Elle l'a réveillé en pleine après-midi. Elle s'est promis de ne rien dire, d'être efficace, de ne pas se laisser déconcentrée. Alors, cruelle, elle le regarde sans le voir. La colère a fait place au vide. Elle se dit qu'elle a raison. Le vide n'appelle que le vide. Elle lui rend ses affaires, bien pliées ici, oui un joli petit tas tu vois c'est tout propre, sauf ça,

que je mets là. Elle est insupportable, bancale, manque de renverser sa guitare. Sa douceur dans la révolte est encore plus violente. Comme un film d'horreur sans le son. Elle quitte la pièce et claque la porte sur l'appartement.

Dans le hall elle s'arrête net. Un cœur mal dessiné qu'elle avait fait sur un bout de papier, et qu'il a collé sur sa boite aux lettres. Non, dit-elle. Pourquoi il a fait ça ? Quand est-ce qu'il a fait ça ? Pourquoi elle ne le voit que maintenant, et pourquoi elle ne voit plus que ça ? La seule boite aux lettres complètement détruite. Et son cœur.

En bas de chez lui elle ne se résout pas à remonter l'avenue en sens inverse. L'autre trottoir, elle ne pense plus à changer de trottoir. Elle finit par s'asseoir à terre et Billie Holiday lui fait couler des couleuvres de larmes.

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Rivière-du-loup, France. Acte 5 & 6.

Lui : Le mépris, merci.

Elle : Je suis en bas. Descends qu'encore je t'explique.

Lui : J'arrive.

Les minutes passent, les joues cannelées de larmes, elle désespère.

Elle : Descends comme tu es. - Et elle regarde la route. Les voitures roulent. Les mégots aussi.

Lui (au combiné) : Ça fait dix minutes que je cherche mes clefs. Tu veux pas remonter plutôt ? - Sa voix est douce comme miel.

Elle remonte, excédée de céder.

Décontenancée de changer son plan si bien ficelé. Quel jeu d'échec. Il s'est habillé, et son visage aussi. Les joues roses, un bonnet vert, il sourit. Il se dit qu'il a gagné sûrement. Ils parlent. Elle qui avait décidé de ne pas parler. Aurait-il gagné ? Elle s'en fout, elle ne combat pas. Pas contre lui. Mais contre elle-même. Elle se laisse faire mais au fond elle se débat. C'est un dialogue de sourds qui se regardent en riant. Puis elle s'énerve. Elle ne se reconnaît pas comme ça. Mais ne se connaît pas non plus. Elle parle elle crie presque. Il a les larmes aux yeux, elle se réchauffe. Elle reprend des couleurs à son tour. Et il lui dit, la vie est parfois parcourue de phénomènes. Le rejet est un phénomène. Tu me rejettes alors que je t'aime. Ces phénomènes c'est comme des diamants, c'est magique, ça disparaît comme c'est venu. Et moi je suis une licorne ? lui répond-elle, et elle rie. Elle s'appelle Ruby dans ses yeux. Ça brille.

De nouveau c'est l'orage. Tout son corps s'hérisse, on dirait qu'il va la mordre. Mais il n'oserait pas. Ils sont trop loin l'un de l'autre. Elle s'excuse. Elle s'excuse vraiment, d'être comme ça avec lui. Elle n'est pas comme ça d'habitude, elle ne comprend pas. Elle ne se comprend pas. Elle ne voulait pas se battre. Elle a froid de nouveau. Ils vont dans sa chambre. Ça sent le bébé propre. Il ne s'est pourtant toujours pas lavé, ni depuis trois jours, ni ces trente dernières minutes. Alors, ils fument, et la musique se tend dans l'espace. Ça les réunit. Il est heureux, elle vient de le comprendre. Il était heureux sans elle. Elle lui tourne autour. Il n'a pas bougé. Il est assis, elle est debout. Ses pattes de chat en vérité sortent les griffes. Mais c'est chaud, contre son ventre. Elle se laisse enrôler par ses bras, plonge sa tête dans ses cheveux, le respire. Elle brûle à l'intérieur. Dès qu'elle s'écarte elle a froid. Alors elle lui dit qu'elle s'en va. Il la rattrape, il ne veut pas. Elle l'embrasse, l'amour envahit la pièce. Arcturien. Elle s'en va.

Réapparition du soleil. Sortie de la scène.

Le désordre des ombresWhere stories live. Discover now