Doriane était une voisine presque idéale. Au milieu de la route, elle m'accompagnait. On faisait souvent la roue jusqu'au dernier moment, attendant le klaxon pour laisser passer les voitures. On se foutait la frousse avec l'élan naïf qu'ont les enfants avides, remplis de soif. Ma mère n'en savait rien, la sienne était trop préoccupée à lui prévoir un petit frère. Ca ne faisait que rater, elles étaient déjà trois, et sa mère un poil dépressive, la mienne un doudou. On devait avoir pas plus de dix ans, on ne se posait pas encore toutes ces questions qui empêchent les déclarations d'un soir. On se faisait confiance et c'est tout. A dix minutes en vélo j'avais un écho à mon brin de folie.
Un jour j'en eus marre. Je ne pourrais pas dire ce qui m'était passé par la tête alors. Je cessais de la voir, et mon vélo dormait au garage, ronflant entre la table de ping-pong et la caisse à outils. Ma nouvelle lubie était de chasser les serpents du jardin. Hormis une vipère, je n'eus pas beaucoup satisfaction. Et puis c'est ma mère qui la trouvait, sous le paillasson et le regard ébahi de mon frère. Mon frère qui avait un gout de citron.
Moi, je m'amusais souvent sur la balançoire à me tortiller dedans. Je crus une après-midi que j'y laisserai ma vie. Je ne sais plus comment je résolu ma position, mais bien que suffoquant, je n'en arrêtais pas moins ma respiration. J'ai souvent eu le chic pour me mettre dans ce type de situation où l'on se voit mourir trop tôt, presque sous les yeux de nos parents, sous le bleu du ciel ravissant. Mais la bouffée de vie juste après est comparable à une envolée en delta plane. Au dessus des montagnes j'avais le regard chavirant. On me fit même tenir les rennes, mais là j'avais déjà vingt deux ans. J'étais à l'âge où l'on s'équilibre après la chute du deux. Je me rappelle cet envol, les pieds en l'air, tout qui respire mais différemment.
Au bord de la route, là où se faisait écraser mes chats, là où je tombais en vélo à faire la course avec mon frère, mon coude éraflé et le sang sur le goudron, là où je fis du stop seule pour la première fois. Un été où j'avais raté mon train. Personne ne s'arrêtait mais quelqu'uns ne voulaient pas me laisser au bord de la route. Elle avait le cœur sur la main, et son mari conducteur de taxi. L'autre, celui qui m'a pris, fumait des Camels et commençait déjà à me raconter sa vie. Je ne savais pas comment le remercier, sauf de lui proposer des cigarettes à mon tour. Il m'emmenait à la maison où l'on m'attendait avec hâte. La petite gamine qui rejoignait seule les garçons. C'était un été et on trainait à la plage, entre les casinos royals et les cibiches de ces messieurs. Je m'emmerdais à mourir je crois, sauf quand je faisais du vélo. Ça devait me rappeler mon jeune âge, les oreilles qui sifflent doucement, les genoux qui roulent vigoureux, mais désormais plus de chutes, seules quelques promesses dans le vent.