Lacrimae rerum

4 0 0
                                    

Sur le port, nous sirotons du cidre en regardant les bateaux amarrés. J'inspire à poumons écartés la brise iodée qui mignote ma nuque. J'aspire. Le temps qui passe me demande comment je m'appelle, et pas à pas le soleil me réchauffe les cuisses. On est bon, là. La mer houle et se secoue pour nous saluer. Je passe ma main dans ses cheveux célestes. J'essaie de me ranimer mes émotions d'alors, je ne m'en souviens plus. Ca ressemblait à quelque chose comme d'absolu, défini et parfait. Je choisis le meilleur angle de vue et je m'attarde là, à écouter le bruit sourd de la mer et graver son visage dans mes souvenirs comme un papier peint. Je ne sais pas ce que j'attends. Généralement je ne sais pas tout court, à quoi je pense. Ca me revient après, en plus détaillé. Je ne sais pas si c'est mieux. L'esprit de l'escalier. Mais peu importe, et je m'attèle alors à dégoupiller un truc, mais ça bloque. Je ne sais pas quoi dire puisque je ne sais pas quoi penser.

Mille milliard de dollars que ça les vaut, payes Jimmy !

Qu'est ce que tu crois, que je vais débourser ça comme ça ?

Sans pourquoi pas de comment.

D'accord.

Et ils partirent chacun dans leur sens vers le but ultime, bravant l'horizon brouillardeux.

C'était à peu près ce que j'avais en tête à ce moment là. Des personnes imaginaires ayant une discussion imaginaire.

Le lendemain, nous nous baignions par dix degrés, tout à fait frigorifiés par la température ambiante et à peine réchauffés par le cidre et les petits akènes des mûres attrapées sur les baies de la plage. Nus, nous courrions sur le sable, sous le ciel menaçant aux nuages gonflés de pluie. Le temps d'un baiser, nous ressortions des vagues, heureux comme des mômes qui ont réussi leur pari. Des mômes, à regarder les gens et retrouver de l'apaisement dans leur nonchalance que Paris a oublié. Des mômes, à manger des moules au restaurant puis des glaces sur un banc. Des mômes à déboucher une baignoire avec détermination et astuces, riant de leur succès. Une môme, à courir dans la ville pour aller chercher de la crème anti-piqûre pour son môme attablé sur la jetée clope au bec. Des mômes à grimper sur la grand-roue avec une bouteille de Vieux calva qui vous assommerait un curé. Des mômes qui se chamaillent le soir venu. Un môme qui me tourne le dos et qui ne me laisse pleurer parce qu'il ne m'aime plus. Des mômes, tout impuissant à comprendre qu'ils se sont perdus et retrouvés en l'espace d'une nuit.

Je ne me rappelle plus grand-chose de ce week-end si ce n'est l'étonnement d'être là, tout l'amour que nous fîmes, et puis la pluie.

Le désordre des ombresWhere stories live. Discover now