Cela
faisait dix jours que Zoï avait disparu et Michiya avait décidé de prendre les choses en main. Sans l'avis de personne, elle avait placardé une cinquantaine d'affichettes faites-maison dans les arcs E, D et C et un matin, un garçon nommé Tommy l'avait abordée devant l'école. Elle se rappelait avoir discuté avec lui quelques années auparavant mais ils n'avaient jamais été proches. Il disait avoir reçu des ordres lui disant d'aller voir le vieux Symphorien le jour de la disparition et de lui apporter sa ration, sans plus d'informations. Là où son histoire devenait problématique, c'était que tout ceci lui avait été demandé par un Gardien. Comment celui-ci aurait-il pu être au courant si la disparition de Zoï avait été anodine ? Les ordres des Gardiens était indiscutables, leur autorité absolue. Pour avoir un quelconque renseignement supplémentaire, il faudrait s'addresser au Palais Impérial. Les Conseillers du Peuple devaient écouter les requêtes des Citoyens, les analyser et faire leur possible pour les satisfaire. C'était du moins ce que Michiya et Zoï avaient appris à l'école. La fillette s'était empressée de raconter les dires de Tommy à sa mère et à la grand-mère de Zoï, Eda. La première avait pâlit, la seconde s'était effondrée sur une chaise en poussant des gémissements et personne ne lui avait fourni d'explications. Furieuse, Michiya décida d'aller au Palais seule, sans avertir personne. C'était un plan parfait ; elle devait simplement faire mine de partir à l'école, se cacher dans une ruelle en attendant que l'agitation du matin retombe puis se rendre à la Tour et demander une audience.
Toute la première partie de son plan s'était déroulée comme prévu mais à présent qu'elle était devant la Tour elle se demandait si son idée était aussi géniale qu'elle en avait l'air. Les Gardiens ne la laisseraient sans doute pas entrer, elle était bien trop jeune. Soudain, elle entendit derrière elle des bruits de pas résonner sur le pavé. N'ayant pas le temps de se cacher, elle resta sur place, baissa la tête et laissa la personne avancer dans son dos et la dépasser. Mais lorsque celle-ci entra dans son champ de vision, Michiya étouffa un cri de stupeur : la personne en question était une jeune fille aux longs cheveux noirs, elle semblait à peine plus âgée qu'elle, et elle avait marché à reculons ; à présent, elle plantait ses yeux dans les siens.
-Je peux savoir pourquoi tu restes plantée là comme un piquet ? Si tu viens pour une audience, c'est par ici, lança-t-elle en ouvrant la lourde porte de fer.
Stupéfaite, Michiya la suivit à l'intérieur du Palais. De l'extérieur, la tour ressemblait à une pile d'assiettes et de verres. C'était en tout cas la comparaison que la fillette avait faite lorsqu'elle avait visité les lieux avec son école. Elle avait alors 6 ans. Cette visite était obligatoire. Chaque enfant devait admirer les portraits du couple impérial, s'agenouiller devant les Conseillers, s'imprégner de l'eau de la fontaine qui se trouvait dans le hall immense de la tour puis lever la tête et scruter le dôme de verre qui couvrait les quinze étages de rembardes dorées abritant les appartements impériaux. Puis les bambins étaient avertis : si ils se conduisaient bien, ils auraient un jour la chance de rencontrer la famille impériale ; si au contraire ils effectuaient de mauvaises actions, ils finiraient leur vie dans les souterrains du palais. Plus d'un enfant avait fait des cauchemards à la suite de la visite.
La jeune fille fit passer Michiya par le hall magnifique à toute allure puis par un long escalier qui s'enroulait sur lui-même à travers les étages et qui donnait sur une porte en bois clair derrière laquelle se trouvaient une petite salle, un placard à balais et enfin une autre porte, plus sombre. La tour semblait étrangement vide mais Michiya s'en moquait. L'inconnue laissait dans son sillage une odeur qu'elle ne connaissait pas mais qu'elle trouvait agréable. Elles s'arrêtèrent net devant la deuxième porte.
"Je n'ai pas le droit d'aller plus loin mais tu devrais y arriver toute seule, déclara la jeune fille d'une voix chantante, tu dois juste ouvrir la porte et exposer ta requête aux vieux croûtons qui sont derrière. Ca ira ?
-Euh...oui, oui. Merci...euh...
-Lara. Et toi ?
-Michiya."
Le sourire de Lara s'affaissa. Elle observa le visage de son interlocutrice avec attention puis soudain, elle s'exclama :
"Tu es l'amie de Zoï ?
-Euh...oui, mais comment...
-Ne pose pas de questions ! Il m'a contacté il y a deux semaines et il m'a dit que...
-Lara !!! cria une troisième voix. Lara, veux-tu revenir ici tout de suite !
-Un instant ! lança-t-elle d'une voix suppliante. Ecoute moi-bien, murmura-t-elle, tu vas te cacher dans ce placard et tu vas m'y attendre. Je reviendrai te chercher très vite je te le promets.
-Mais je...
-Chut ! siffla-t-elle. Il faut que tu sortes d'ici, tu n'aurais jamais dû rentrer, d'ailleurs. Je ne sais pas ce dont tu es au courant mais si jamais quelqu'un sait que tu es venue, tu...
-Lara !!! hurla la voix.
-J'arrive ! répondit-elle. Allez, rentre là-dedans, murmura-t-elle en poussant Michiya dans le cagibi. Et tu ne bouges pas !!!"
Et elle ferma la porte à clé.
Le placard était sombre. Michiya ne voyait rien de ce qui l'entourait. Elle n'avait plus aucune notion du temps qui s'écoulait alors elle se mit à réfléchir. Cette histoire n'avait ni queue ni tête. Tout ce qu'elle comprenait pour l'instant, c'était que la disparition de Zoï était liée à quelqu'un de haut placé au Palais impérial puisqu'un Gardien était au courant. Elle savait désormais que son ami avait rencontré Lara peu de temps avant de s'évaporer et si la jeune fille disait vrai, il l'avait mise au courant d'un secret qui les mettait tous les trois en danger. Elle réfléchit un moment à la liste des personnes suceptibles de connaître ce secret et soudain, la lumière se fit dans son esprit : il fallait demander à Symphorien. Le vieillard se souvenait toujours de chaque détail, si Zoï avait paru plus pressé ou préoccupé qu'à l'ordinaire, il l'aurait forcément remarqué. Satisfaite de son nouvel objectif et épuisée par toutes ces émotions, elle s'endormit.
A son réveil, Michiya se sentait à demi-morte de faim. De plus, le placard était étouffant et elle avait soif. N'ayant aucune idée du temps qui s'était écoulé, elle se redressa et sa tête heurta l'étagère qui se trouvait au dessus d'elle. Elle entendit un bruit de verre et se rendit compte qu'un flacon venait de se renverser.
"Mince !"
Elle se plaqua contre la porte du placard en priant pour que le liquide qui ruisselait vers elle soit de l'eau. Elle réalisa très rapidement qu'il sentait le vinaigre. La fillette esquissa un mouvement pour se pincer le nez et commit là sa deuxième erreur : sa main renversa une petite boite dont le contenu valdingua avant d'atterrir dans le vinaigre avec un petit psshhhht. Paniquant, elle inspira un grand coup...et suffoqua. Michiya avait l'impression que le gaz qui montait du sol lui déchiquetait les poumons, lui brûlait les yeux. Elle tenta de sortir du placard ; la porte était toujours fermée. Utilisant le peu d'oxygène qui lui, restait, elle tambourina contre la cloison en hurlant.
"Au secours !!! S'il vous plaît !!! A l'aide !!!"
Elle entendit des pas et tout à coup, la porte s'ouvrit. Michiya se précipita dehors en inspirant une bouffée d'air frais. Elle se roula en boule sur le carelage frais et entrouvrit ses yeux, qui ruisselaient de larmes. Elle vit d'abord deux pieds chaussés de sabots de bois. Des sabots sortaient deux chevilles maigres et tordues surmontés de mollets tout aussi rachitiques qui se perdaient dans la toile d'une salopette de travail bouffante, comme tous les Citoyens en portaient. Et au dessus de la salopette, il y avait un cou qui sortait du col du vêtement et qui suportait une tête couverte de cheveux roux. Juste sous les cheveux, des yeux vert vif fixaient Michiya d'un air stupéfait.
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La Cité de l'Injustice
Mystery / Thriller[EN PAUSE, reprise probable en juillet] Michiya et Zoï vivent dans un empire fondé pour protéger ses habitants du mal qui règne à l'extérieur. Mais quand Zoï disparaît mystérieusement, Michiya, en tentant de retrouver son ami, réalise peu à peu que...