La Cité de l'Injustice

Prologue

 Le vieux Symphorien entendit la carriole du Ravitailleur passer dans la ruelle voisine. Trop fatigué et malade pour aller chercher lui-même sa ration journalière comme le faisaient les autres Citoyens, il avait longtemps cherché dans le voisinage quelqu'un qui accepterait de la lui apporter en échange d'un ou deux morceaux de pain. Quelques deux ans plus tôt, le petit Zoï s'était porté volontaire et avait refusé toute forme de paiement. Symphorien l'avait toujours trouvé étrange ; ses cheveux d'un noir corbeau plaqués sur son oeil mort tandis que l'autre vous fixait intensément ; sa façon de marcher en rasant les murs comme pour ne pas se faire remarquer, ce qui était impossible, il était bien trop grand ; et puis son amie, Michiya. Sa seule amie. Elle avait rappelé à l'ordre tous ceux qui s'étaient moqués de cet enfant borgne à l'école et ne l'avait plus quitté. Ils passaient tout leur temps ensemble, lui grand, ténébreux et mutique, elle petite, bavarde, les boucles de ses cheveux chatain clair rebondissant dans son dos au moindre de ses mouvements.

"Il est en retard", nota Symphorien. Cela n'était jamais arrivé. Zoï était la ponctualité même, passant lui apporter sa nourriture à huit heures cinquante-trois précises tous les matins, qu'il pleuve ou qu'il vente, même lorsqu'il avait eu une angine, même lorsque son frère Marcus était mort. D'ailleurs, sur le moment, Symphorien ne l'avait même pas su. Il avait simplement entendu dire qu'une tentative d'assassinat contre l'Empereur avait échoué et que la bombe avait explosé dans les mains du terroriste, dont il n'avait découvert l'identité que bien plus tard. Zoï était un vrai mystère. De même, c'est par le bouche à oreille qu'il avait appris que la mère du garçon, Mara, avait été arrêtée pour avoir volé de la nourriture dans le charriot du Ravitailleur. En effet, sa seule ration quotidienne de ne suffisait plus à nourrir Zoï et sa grand-mère Eda qui ne travaillaient pas et dont les aides avaient été supprimées après la mort de Marcus. Ils s'étaient retrouvés seuls tous les trois, survivant grâces à des amis ou à des services rendus aux voisins. A partir de ce jour, l'aide du garçon ne fut plus gratuite mais il ne demandait pas grand chose, seulement un peu de soupe pour sa grand-mère. Et le vieil homme commençait à se dire qu'il ne fallait pas s'attendre à le voir aujourd'hui lorsque quelqu'un frappa à la porte.

- "Oui", dit-il sans bouger de son fauteuil.

La porte s'ouvrit mais la personne qui se trouvait derrière n'était pas Zoï. C'était un garçon du même âge, environ 13 ans, blond, au teint clair et à l'air enjoué qui tenait la poche contenant le repas de Symphorien. Celui-ci se redressa brusquement et avant même que le garçon ait pu dire quoi que ce soit, le vieil homme, furieux, s'exclama :

"Qui est-tu? Où est Zoï, c'est lui qui t'a envoyé?"

Le visage du garçon se décomposa.

"N-n-non, bafouilla-t-il, je m'appelle Tommy, je partais à l'école et j'ai... j'ai croisé un Gardien qui m'a d-d-donné des instructions. Je dois donner ça à Monsieur Symphorien 3E9, c'est bien vous ?

- Oui, mais où est Zoï ?

- Je ne sais pas monsieur, j'habite le Quartier B et nous ne sommes pas dans la même classe alors on ne se croise pas beaucoup. Mais je peux le remplacer jusqu'à ce qu'il revienne. Voulez-vous que je repasse demain? Je peux aussi m'occuper de votre ménage ou de ce genre de choses. Je ne réclame pas beaucoup, seulement les choses dont vous ne voulez pas. Vous êtes d'accord ?

- Non, rugit le vieil homme, pâlissant, va-t-en !!! J'ai besoin de personne pour m'occuper de ma maison, sors d'ici tout de suite !"

Il s'était appuyé sur les accoudoirs et se maintenait péniblement en position assise. Sa voix chevrotait.

- "Très bien, Monsieur, s'empressa Tommy, je m'en vais. Voulez-vous que je fasse passer un message à Zoï quand je le verrai ?

- TAIS-TOI !!! Là où il est, il reçoit de messages de personne !!! Sors de chez moi !"

Sur ces paroles, Symphorien attrappa le réveil posé sur la table à côté de lui et le jeta violement en direction de Tommy qui eu juste le temps de se baisser tandis que l'objet éclatait contre le mur. Le garçon s'enfuit en courant , laissant le vieil homme seul, secoué par les sanglots. Il était presque sûr, à présent, de savoir ce qui était arrivé. Le gamin lui manquerait.