Chapitre 13

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D'abord, il faisait noir.

Puis blanc.

Puis noir à nouveau.

Je marche (je crois ?).

Je ne sens plus rien.

Est-ce que j'avance ? Il y a du brouillard partout...

A un bref instant, au tout début, il a fait rouge. Je venais de m'éloigner d'un mur (quel mur ?) et une grosse boule de lumière rouge est montée dans le ciel. Je crois que ça venait de gens que je connaissais alors j'étais à la fois heureuse et inquiète.

Et je suis partie.

Ca fait combien de temps ? J'ai arrêté de compter les successions de blanc et de noir.

Je crois que j'ai faim. Et soif. Mais j'ai mangé tout ce qu'il y avait dans le sac à dos (d'où vient-il ?)

Zoï !

Oh. C'est moi. Ca aussi, ça fait longtemps.

Zoï ! Regarde, j'ai fait un dessin !

Ouais, c'est ma voix. Mais de quel dessin je parle ? Je ne m'en souviens plus...

C'est nous !

C'est la voix de Zoï, ça. Elle est aigüe. Ce souvenir est  vraiment vieux, alors.

Oui, c'est nous. Là c'est toi et moi devant nos maisons, et derrière, c'est ma maman qui fait de la soupe, ta grand-mère Eda qui lit et ta maman qui se repose parce qu'elle a un gros ventre.

Oh, l'époque où Mara était enceinte de Laly. Bizarre comme les enfants peuvent sembler insouciants alors que tout le monde est dans la galère.

Pourquoi t'as pas dessiné nos papas ?

Qu'est ce que j'ai bien pu lui répondre ? Que j'avais oublié leurs visages ? Que ça faisait trop mal d'essayer de m'en rappeler ? Comme pour un tas d'autres choses, j'avais enterré ça loin dans ma mémoire. Mais ce souvenir, là, il est en train de créer une brèche, et ça fait comme un défilé dans ma tête, et je me souviens de plein de trucs que j'aurais voulu oublier.

Comme la bouille de cette adorable petite Laly. Mara, Jarod et Zoï sont tous bruns aux yeux noirs, alors quand on voit ses boucles blondes et ses yeux verts, et avec le fait que Jarod ait été arrêté plus d'un an avant sa naissance, on se dit qu'il y a quelque chose. Mais bon, nos mère ont tenté de survivre, chacune à sa manière, comment en vouloir à Mara ?

De même, ce n'est pas de sa faute si ses enfants étaient traités de bâtards et d'enfants de putain par les sales gosses de l'école. Et de mon côté, pathétiquement, j'essayais toujours de les défendre contre des insultes que je ne comprenais même pas.

Zoï ! Attends !

Oh non. Ce souvenir est encore plus ancien.

Laisse-moi tranquille !

Ca date d'avant que nous devenions amis. On savait à peine compter jusqu'à 3 et je le suivais partout, à son grand désespoir.

Mais regarde ! Je t'ai cueilli une fleur !

J'étais vraiment pénible.

Arrête de me suivre, je veux pas être ton ami !

Aussi grande qu'ait pu être ma frustration en entendant ces mots, rien ne pardonne ceux que j'ai prononcés juste après.

D-de toute façon...

Non...

De toute façon, si tu veux pas être mon ami, ben personne ne voudra l'être parce que...

J'aimerais tellement ne jamais avoir dit ça...

...parce que tu fais  peur à tout le monde, avec ton œil bizarre !

Il fait blanc.

Comme son visage ce jour là.

Sur le moment, j'étais seulement en colère, et plutôt fière de ma pique. Puis j'ai réalisé ce que j'avais fait et j'ai eu honte. Honte à en hurler en me roulant par terre dans ma chambre tous les matins.

Pendant un moment, je l'ai évité (difficile puisqu'on était voisins). Je m'en voulais tellement. Je n'ai pas été la dernière personne à l'attaquer sur sa monophtalmie, loin de là. En fait, j'ai été la première. Je ne sais même pas s'il était conscient de lui-même avant ça.

Un jour, il s'est fait coincer dans une ruelle par des gamins plus vieux. Je l'ai défendu avec mes petits poings et quand il m'a regardée après que les autres soient partis, je me suis enfuie en courant. Je voulais me racheter mais j'avais peur qu'il ne me pardonne pas.

Et finalement, après plusieurs situations du même genre, une fois où on s'ennuyait sur nos perrons respectifs, il m'a dit :

Michiya...tu me cueilles une fleur ?

Il fait presque noir. Je devrais m'arrêter de marcher mais mes jambes semblent bouger toutes seules.

Parfois, je ne sens plus rien dans mon corps, et le blanc et le noir autour de moi s'inversent.

Ou les contours se brouillent peu à peu et le monde noir et blanc se met à tanguer.

Comme maintenant.

Je crois que mes jambes ne veulent plus marcher.





NdA : voilà, par ici pour le lynchage, mes plus plates excuses pour le retard, j'espère que c'est pas trop désagréable à lire et j'essaie d'envoyer la suite bientôt.

Doyôbi

La Cité de l'InjusticeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant