Chapitre 8

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Les jours passaient à une lenteur exaspérante et l'éternel gris qui tapissait le ciel avait coulé pour s'insinuer entre les collines, se répandant en taches pâles aux pieds des arbres. Michiya passait de longs moments à contempler la campagne, réfléchissant au plan de Liz pour ne pas penser à son «chez-elle» qui lui manquait tant. Avec cette météo exécrable combinée à une chaudière antique, la vie au Centre de rééducation était devenue intenable : il était impossible de faire sécher les vêtements trempés par les averses, les murs de toutes les pièces ruisselaient d'humidité et, pour couronner le tout, l'une des lucarnes des sanitaires s'était «mystérieusement» brisée, réduisant à néant l'espoir de prendre une douche à peu près tiède les jours où l'eau parvenait à chauffer.

Dans ces conditions, les crises de larmes de la part des plus jeunes et des nouvelles venues étaient de plus en plus fréquentes et alors que Michiya se désolait de voir ses camarades traitées de cette façon, Liz semblait sereine et même plutôt satisfaite.

Un matin, durant la récréation, les deux adolescentes s'isolèrent dans un coin de la cour du manoir et Michiya interrogea Liz sur ce qu'elle préparait.

« Réfléchis cinq minutes, expliqua la blonde, ces harpies vont droit à leur propre perte ! Elles nous traitent comme des chiens alors qu'elles sont en baisse d'effectif, du coup...

-Attends, comment tu sais qu'elles sont en baisse d'effectif ?

-Tu n'as pas remarqué ? La surveillante qui est partie la semaine dernière n'as pas été remplacée, et il y en avait une autre, avant que tu n'arrives, qui a été mutée. Du coup, elles ne sont plus que 5 pour une cinquantaine d'élèves. Bien sûr, les trois profs ne restent ici que la journée donc ça n'entre pas dans l'équation. »

Michiya fronça les sourcils, pensive, tandis que Liz reprenait :

« Donc, je disais, dans ces conditions, une révolte de notre part serait non seulement envisageable mais potentiellement couronnée de succès !

-Je vois, marmonna la brune. Et avec ce que tu disais sur la baisse d'effectifs et les profs qui rentrent dans leurs Cités tous les soirs et le week-end...

-...ça ne pourra se faire qu'un samedi soir, puisque les trains ne circulent pas jusqu'au lundi, comme ça, elles mettront plus de temps à obtenir de l'aide.

- Et tu as un plan particulier ? »

Le regard de Liz se porta au-delà de l'épaule de son vis-à-vis et elle soupira :

« Ca, je te le dirai une autre fois, je crois qu'Alea nous a dans sa ligne de mire. »

Et en effet, en se retournant, Michiya aperçut le regard glacé de la jeune fille braqué sur elle depuis l'autre bout de la cour. Les deux jeunes filles se séparèrent en hâte et retournèrent en cours avec leurs camarades. Mais le soir même, elles se retrouvèrent à leur rendez-vous quotidien dans les sanitaires.

Le carreau brisé laissait passer un courant d'air glacé et les deux amies se réfugièrent derrière un pan de mur pour se tenir chaud.

« Alors, s'exclama une Michiya impatiente, ce plan ? »

Liz s'éclaircit la gorge.

« C'est très simple : à partir de ce soir, on laisse courir des rumeurs à propos des autres toquées, du type « la chaudière marche très bien mais les surveillantes gardent toute l'eau chaude pour leur salle de bain perso », ce genre de trucs. Si on laisse couver correctement et qu'on fait une étincelle le moment venu, tout devrait péter assez facilement. Ensuite vient la partie technique : le samedi soir, je sortirai du réfectoire avant la fin du repas. Puis, quand les autres filles retourneront dans les dortoirs, tu t'arrangeras pour te trouver en tête de file au moment de passer devant les douches ; à cet instant, tu attireras leur attention sur une nouvelle dégradation, tu balanceras tout haut que c'est la faute des surveillantes et les autres filles devraient partir en vrille. On aura juste à les guider dans leur colère, la diriger vers les connasses en vert, et on aura notre diversion.

La Cité de l'InjusticeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant