CHAPITRE 3

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Michiya s'éveilla le lendemain avec un mal de crâne épouvantable et le souvenir d'avoir fait un rêve étrange ; elle marchait tout droit dans un long couloir humide et entrevoyait des ombres tapies dans l'obscurité qui se faufilaient dans d'autres couloirs plus petits perpendiculaires au sien. Lorsque ces couloirs se croisaient, il lui semblait entendre des chuchotements et même des petits rires qui lui laissaient penser qu'elle était épiée. Elle se souvint tout à coup que ce n'était pas un rêve et la jeune fille fût alors envahie par un sentiment d'apréhension : sa mère n'avait pas pris la peine de lui faire un sermon sur le moment, trop soulagée de retrouver sa fille après une journée entière, alors qu'il faisait nuit noire, même si cette dernière était couverte de vinaigre et de boue et qu'elle sortait d'une bouche d'égout, ce qui était absolument interdit. Mais ce matin, Nolina ne manquerait pas de se rattraper. Michiya soupira à l'idée de ce qui l'attendait et sortit de son lit.

Sa chambre n'était pas particulièrement belle. Elle était même assez froide, meublée uniquement d'un lit d'enfant en fer, d'un bureau en bois clair, d'une table de chevet et d'une armoire assorties. Le reste, la lampe de bureau, la chaise et les boites de rangement, tout était peint en gris, ce qui s'accordait très bien avec le ciel de ce début de matinée. Elle descendit l'escalier sans un bruit et s'assit à la petite table de la cuisine, sa mère faisant la vaisselle, lui tournant le dos. Prenant son courage à deux mains, Michiya inspira et lança :

"Bonjour."

Nolina se raidit, posa la vieille assiette qu'elle était en train d'essuyer sur la pile de vaisselle propre et se retourna. A peine plus grande que Michiya, elle revêtait l'uniforme de travail des cultivateurs : chemise et pantalon beiges sous une tunique marron foncé. Hormis ce détail et ses cheveux d'un blond cendré qu'elle retenait dans un chignon, la mère et la fille se ressemblait comme deux gouttes d'eau à la seule différence que Michiya semblait terrifiée tandis que les yeux gris acier de Nolina lançaient des éclairs.

-Où étais-tu ?

Michiya inspira à fond et baratina l'histoire qu'elle avait préparée : elle avait voulu se rendre à la Tour pour se renseigner sur la disparition de Zoï, s'était perdue dans le dédale de couloirs et d'escaliers et avait fini par se retrouver dans les égouts où, par miracle, elle avait trouvé un passage vers sa maison. Elle insista sur la terreur qu'elle avait éprouvée à l'idée d'être découverte, sur le fait qu'elle n'avait rien mangé depuis le matin et sur le froid et l'humidité qui régnaient dans le sous-sol, et ce afin d'attendrir sa mère, mais c'était peine perdue. Nolina haussa un sourcil d'un air dédaigneux et siffla :

-Tu n'as eu que ce que tu méritais. Maintenant, dis-moi la vérité, ça changera : est-ce que quelqu'un t'a vue ou reconnue ? C'est très important.

Michiya réfléchit un instant. Elle repensa au palais vide, au petit Victor qui ne connaissait pas son vrai nom, à la belle Lara qui avait tout de suite compris la situation, bien qu'elle ne soit pas venue la chercher et se dit que si la seule personne qui connaissait son identité était quelqu'un aussi important dans l'affaire de la disparition, elle ne devait surtout pas alerter sa mère.

-Personne. Je n'ai vu personne.

Nolina lui lanca un regard suspicieux, ce à quoi Michiya répondit en la fixant intensément de ses yeux gris. Finalement, la mère soupira et murmura :

-Ne me refais jamais ça. Je ne veux pas que tu disparaisse comme Zoï.

-Je ne vais pas disparaître, c'est Zoï qui va revenir, lança joyeusement Michiya. Je te jure que je vais le retrouver sain et sauf. J'ai même un début de piste !

Nolina pâlit, s'assit et tira les mains de Michiya vers elle.

-Arrête de chercher, c'est peine perdue. Tu me dis que ce garçon, Tommy, a été envoyé par un Gardien pour remplacer Zoï dans son travail, alors tu dois arrêter. Sinon, tu vas avoir de très gros problèmes. Promets-le moi !

-Mais maman...

-Promets-le moi !

Michiya n'avait jamais vu sa mère dans un tel état de terreur. Ses mains serraient celles de Michiya avec une force inouïe, tout son corps tremblait, sa voix chevrotait et sa face était livide.

-Je...Je te promets.

Nolina lacha les mains de sa fille, se leva et la serra dans ses bras. Michiya ne savait pas quoi faire. Une promesse était une promesse, surtout étant donné que sa mère semblait réellement paniquée. Mais elle ne pouvait pas abandonner Zoï. C'était son meilleur ami.

Elle se dégagea de l'étreinte de sa mère et remonta dans sa chambre grise. Elle s'assit sur son lit et se mit à réfléchir.

La ville était parfaitement circulaire, divisée en quatre quartiers par quatre rues principales qui se rejoignaient au centre. Chaque quartier était composé de cinq arcs, nommés de A à E. L'arc A, le plus au centre, encerclait la place centrale de la Cité, au centre de laquelle se trouvait la Tour, le palais impérial au sommet duquel vivait la famille de l'Impératrice. Tout le reste du bâtiment était consacré à l'administration. Le nom des Citoyens était donc composé de leur prénom, puis du numéro de leur quartier, de la lettre de l'arc et pour finir, du numéro de la maison. Ainsi, chaque Citoyen était absolument unique et on pouvait savoir du premier coup l'adresse complète d'une personne qu'on venait de rencontrer. Mais cela impliquait qu'il était impossible de mentir : toutes ces informations, à l'exception du prénom, étaient inscrites en petits caractères sur le collier rouge que tous les citoyens portaient autour du cou.

Michiya se redressa, se dirigea vers le bureau et ouvrit un tiroir : là, il y avait un petit miroir. Elle le posa sur le bureau et lança à son reflet un regard de défi : ses yeux gris acier contrastaient avec les boucles aux reflets dorés qui entouraient ses joues rondes. Elle jeta un oeil à son cou et observa le collier ; la seule chose qu'elle se disait à son propos était qu'il était franchement moche. C'était une lanière de cuir noir de la largeur d'un pouce à laquelle était fixée à l'avant une sorte de coque bombée de la taille et de la forme d'une grosse amande rouge vif. Sur la coque, le numéro personnel de Michiya était inscrit en petits caractères noirs.

-Michiya 4E3, murmura-t-elle. Quatrième quartier, arc E, troisième maison en partant de la gauche dos au Palais. Recherche activement Zoï 4E1, disparu depuis onze jours.

Elle devait aller voir Symphorien. On était samedi, elle n'avait pas école, elle pouvait donc sortir sans problème quelques heures. Elle redescendit les escaliers, marchanda quelques minutes avec sa mère une visite chez une amie (imaginaire, bien entendu) et dès qu'elle eut posé un pied dehors, elle se précipita chez le vieil homme.

Elle traversa la rue principale entre les quartiers 4 et 3 à toute allure, trottina dans l'arc E jusqu'à la maison 9 et frappa à la porte. Pas un bruit. Elle frappa à nouveau mais personne ne vint ouvrir. Alors elle alla frapper à la maison 10. Un jeune couple entouré d'enfants de tous âges ouvrit la porte. Michiya demanda s'ils avaient vu Symphorien ces derniers temps mais la jeune femme lui répondit qu'ils ne se voyaient pas souvent, que le vieux était très renfermé. Alors Michiya alla trouver un Gardien. Il y en avait un posté au bout de la rue. Elle s'approcha par derrière et lui tapota le dos. Le Gardien sursauta.

-Est-ce que vous savez où se trouve Symhorien, le vieil homme qui vivait dans la neuvième maison ? demanda Michiya.

Le Gardien leva les yeux vers la maison indiquée et il sembla à Michiya que ces yeux ne lui étaient pas inconnus. Vert vif. Il se tenait droit dans sa combinaison blanche, la carrure de ses épaules amplifiée par son gilet pare-balles, obligatoire pour les Gardiens en service depuis l'assassinat du frère de l'Impératrice. Le Gardien fixa longuement la maison de Symphorien à travers son casque blanc qui ne laissait apparaître son visage que de l'arrête du nez jusqu'au milieu du front puis, lentement, il se tourna vers Michiya.

-En quoi cela te concerne-t-il ?

Michiya sursauta à son tour. Le Gardien devant elle n'était pas un homme. C'était une jeune femme.

-Je...c'est un ami.

-Il ne vit plus ici.

L'espace d'un instant, Michiya soutint le regard dur de la Gardienne qui lui faisait face. Puis elle tourna les talons et rentra chez elle.

Tout comme Zoï, Symphorien avait disparu.

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La Cité de l'InjusticeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant