CHAPITRE 4

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 Ils étaient arrivés un matin sans prévenir, dans une fourgonette silencieuse, avant même que Michiya et sa mère ne se soient réveillées pour aller l'une à l'école, l'autre dans les champs qui encerclaient la palissade extérieure de la Cité. Les deux Gardiens avaient tendu une lettre à Nolina en lui expliquant que sa fille devrait se rendre, grâce à une autorisation spéciale, à la gare voisine le samedi de la semaine suivante, afin de se rendre dans un pensionnat. Michiya avait attendu d'être seule pour pleurer, avait vécu sa dernière semaine dans la Cité Centrale sans rien laisser transparaître et le vendredi, pour son dernier soir, elle avait été dire au revoir à Eda, avait embrassé la petite sœur de Zoï, Laly et avait emballé ses affaires. Elle avait cherché les ennuis et les avait trouvés, c'était plus ou moins ce qu'elle voulait, non ? Elle allait pouvoir sortir de la Cité. Zoï serait peut-être dans cet endroit mystérieux où elle se rendait. Elle n'avait pas le temps de regretter quoi que ce soit.

Enfin, le samedi matin, elle avait dit au revoir à sa mère en pleurs sur le parvis de la gare déserte et elles s'étaient séparées.

Et à présent, le train roulait. Le compartiment de Michiya était totalement vide à l'exception d'une femme assise à côté d'elle, vêtue d'un tailleur vert kaki et chargée de l'accompagner et qui ne semblait pas disposée à engager la conversation. Alors Michiya regardait le paysage défiler. Elle avait malgré tout de la chance de vivre dans la Cité Centrale, auprès de la famille impériale. Les quelques gares où le train s'était arrêté semblaient désertes et miteuses et les autres Cités qu'elle apercevait au loin semblaient encore moins chaleureuses que la sienne, ce qui lui paraissait impossible.

Au bout de plusieurs heures durant lesquelles l'estomac de Michiya ne cessa de gargouiller, le train s'arrêta bruyamment dans une gare encore plus sinistre que les autres. La femme se leva et, sans un mot, saisit le sac de Michiya d'une main, sa propriétaire de l'autre et descendit du wagon.

Tout était gris et humide, du ciel au sol en passant par les murs. La femme en kaki lâcha le sac de Michiya par terre et s'éloigna pour discuter avec un vieil homme qui se trouvait derrière un comptoir. Michiya soupira et leva la tête. Il n'y avait pas d'horloge dans la gare et le Soleil était invisible mais il était certainement plus de treize heures. Elle avait vraiment faim.

Au bout de quelques minutes, la femme revint. Elle fit un signe à Michiya qui ramassa ses affaires et la suivit hors de la gare. Sur le parvis, une camionnette les attendait, le vieil homme du comptoir au volant. La femme en kaki monta à côté de lui, Michiya s'installa derrière et le véhicule démarra.

Ils roulèrent ainsi en silence pendant une quinzaine de minutes, cahotant sur une petite route qui serpentait à travers une forêt. Michiya ne se rendit compte qu'elle s'endormait seulement lorsque sa tête heurta la vitre contre laquelle elle était en train de s'affaisser, alors que la camionnette passait sur un nid de poule.

Enfin, le fourgon ralentit et s'arrêta devant une haute grille en fer forgé. La femme en kaki fit un signe à Michiya et descendit ; La jeune fille la suivit, le cœur battant : Zoï se trouvait peut-être dans cet endroit.

La matonne sortit un trousseau de clefs d'une poche de son tailleur et ouvrit le portail. Elle poussa le battant et laissa sa prisonnière -car il s'agissait bien d'une sorte de prison, non ? – passer devant elle et rentrer dans la propriété.

Au bout d'une allée interminable bordée d'herbe jaunie se trouvait un manoir en vieilles briques rouges, comme dans l'ancien temps, avant que les Hommes ne sachent construire des bâtiments plus solides, plus beaux et mieux isolés.

La femme et l'adolescente remontèrent silencieusement l'allée sur une centaine de mètres puis grimpèrent les marches du manoir. Enfin, la gardienne tira sur une chaîne qui pendait à droite de la grande porte en bois sombre et un bruit de sonnette retentit à l'intérieur.

La porte s'entrebâilla. Une autre femme, vêtue à l'identique de la première, se trouvait derrière. Ses petites lunettes rectangulaires et son chignon lui donnaient un air sévère, accentué par l'expression de dédain qu'elle afficha en jaugeant Michiya de la tête aux pieds.

« Vous êtes en retard », lanca-t-elle à sa collègue qui rougit instantanément.

La femme aux lunettes reporta son regard vers Michiya qui la fixa avec toute l'insolence dont elle était capable. L'autre le sentit car elle fit un pas en arrière, renifla et intima à sa nouvelle pensionnaire de la suivre.

Michiya garderait quelques souvenirs de cette journée mais le domaine administratif n'en ferait pas partie. Elle se rappellerait seulement quelques remarques désobligeantes sur l'état de ses cheveux de la part de la femme au chignon, qui s'avéra être la directrice, et une odeur de sciure omniprésente dans tout le bâtiment.

Enfin, la directrice laissa Michiya sortir de son bureau après lui avoir donné une montagne de recommandations que la jeune fille s'empressa d'oublier. Elle se retrouva dans un couloir percé de grandes portes-fenêtres qui donnaient sur une petite cour entièrement pavée -grise. De l'autre côté de la cour se trouvait l'autre aile du bâtiment, à deux niveaux. A travers les fenêtres, la jeune fille pouvait distinguer des silhouettes toutes tournées dans le même sens, comme dans une salle de classe. Soudain, elle eut la désagréable impression d'être épiée. Tournant légèrement la tête vers la gauche, elle aperçut, au premier rang d'une des salles, un visage pâle tourné dans sa direction, encadré de longs cheveux bouclés. A cet instant, une cloche retentit et les silhouettes se mirent en mouvement. Quelques instants plus tard, des enfants de son âge sortirent du bâtiment et s'égayèrent dans la cour pavée. Michyia tendit la main vers la poignée de la porte devant laquelle elle se tenait, tremblant d'excitation : elle allait trouver Zoï, elle en était persuadée.

Soudain, sa machoire se décrocha et sa main retomba mollement contre sa cuisse : il n'y avait pas un seul garçon. Tous ces enfants étaient des filles. Michiya recula contre le mur le plus proche et prit conscience de l'ampleur du désastre : elle était coincée dans un pensionnat pour filles, sans aucun espoir de retrouver son ami. Elle sentit quelques regards se poser sur elle et, paniquant, elle se mit à courir en ligne droite dans le couloir. Sa vision se brouilla et elle trébucha devant une porte. Elle l'ouvrit ; c'était un débarras. Elle s'y enferma et se mit à pleurer. Elle était absolument seule. Elle ne connaissait personne, se trouvait dans un lieu totalement étranger pour chercher Zoï alors qu'il n'y était pas et avait laissé sa famille à des centaines de kilomètres. Qui allait veiller sur Nolina, Eda et Laly ? Michiya avait accepté son exclusion temporaire de la Cité sans se poser de questions en se disant que c'était une opportunité et maintenant elle avait faim, froid et par-dessus tout, elle était exténuée. Elle se roula en boule sur le sol et s'endormit.


La Cité de l'InjusticeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant