"Mag, pose cette pipe ! Tu veux nous enfumer ?"
La vieille Magdalena suspendit son geste et posa son regard perçant sur son interlocuteur. Aïdan était un jeune homme d'une vingtaine d'années à la taille fine et aux longs cheveux bruns retenus en catogan. Mag, quant à elle, était petite et sèche. Ses cheveux gris courts et ébouriffés et ses lunettes la faisaient ressembler à un hibou.
Cachée derrière les larges épaules d'Alric, Michiya assistait à l'échange, silencieuse.
Depuis sa discussion avec lui quelques heures plus tôt, Michiya ne le quittait plus et le suivait partout comme son ombre. Ainsi, elle avait découvert qu'il était très respecté parmi les Sans-Collier et qu'on faisait toujours appel à lui pour les décisions importantes, comme maintenant.
Dans la pièce qu'elle avait occupée les deux jours précédents s'étaient rassemblées en plus d'elle cinq personnes : Alric, Aïdan, Mag, un homme blond d'une trentaine d'années et une vieille femme minuscule cachée derrière ses rides et un sourire bienveillant.
"Bon, commença Alric, j'ai demandé cette réunion parce que les nouvelles d'en haut ne sont pas bonnes du tout.
-Pour changer...marmonna Mag.
-Comme vous le savez, cette nuit, les nettoyeurs vont inspecter la partie nord des égouts. Normalement, ça ne craint rien, parce qu'on est au niveau inférieur, mais on m'a dit que les autorités commençaient à avoir des soupçons. On a laissé trop de traces, on est devenu trop nombreux. S'il ne trouvent pas le passage ce soir, ce sera pour la prochaine fois."
Un lourd silence s'abattit sur la pièce, rompu par l'homme blond.
"Mais...ça veut dire qu'on doit quitter l'étage ? C'est impossible, on ne pourra jamais tous se déplacer !
-Bertie a raison, s'écria la vieille femme. On pourrait plutôt creuser plus profond, on pourrait...
-Non, Serena, dit le jeune Aïdan d'une voix posée mais pleine de détermination. Si on continue de creuser des galeries comme des taupes, la Cité va finir par nous tomber sur la tête. Et de toute façon, vous vous doutez bien qu'on ne pourra plus rester ici très longtemps, les conditions sanitaires ne cessent d'empirer.
-Je suis d'accord avec Aïdan, déclara Alric. Cela fait bien trop longtemps que les gens viennent ici pour disparaître. Pensez à tous ceux qui sont morts ici en rêvant de s'en aller et à tous les enfants qui sont nés et ont grandi sous terre sans jamais voir la lumière du jour."
Le silence reprit sa place, les laissant pensifs. Enfin, Alric soupira :
"Très bien. Donc sans prendre de décisions concernant la date et la manière, procédons à un vote sans conséquence.
-Pour, dirent d'une même voix Aïdan et Bertie.
-Pour, murmura Serena.
-Contre, soupira Mag.
-Lena ! s'exclama Serena.
-Attends, tempéra Alric. Lena, quels sont tes arguments ?
-Tatata, lança la vieille femme. Pour toi, c'est Mag, comme tout le monde. Ma sœur est la seule a avoir le droit de m'appeler différemment", ajouta-t-elle avec un regard doux vers Serena.
Elle se redressa et déclara :
"Je ne suis pas contre le fait que ceux qui le souhaitent quittent les galeries. Simplement, je crois que certains sont trop fatigués un voyage long, difficile et dangereux. Et ceux-là, à mon sens, sont prêts à rester ici jusqu'à la fin malgré les risques que cela implique.
-Oh, murmura Aïdan, atterré.
-Ce que je veux dire par là, reprit Magdalena, c'est que je suis contre l'idée de forcer tous les Sans-Collier à partir, ce serait trop cruel.
-Je...je pense que personne n'a jamais eu cette intention, dit Bertie en coulant un regard vers Alric qui approuva. Et si certains décident de rester , je suis sûr que ceux qui partent feront le nécessaire.
-Bien, conclut Alric. On reconvoquera une réunion une réunion avec tout le monde dans les prochains jours. Maintenant, je..."
Il fut coupé par le bruit d'un léger raclement en provenance du fond de la pièce. Tout le monde retint son souffle.
Un panneau coulissa, découvrant le visage d'une jeune femme.
"Oh, c'est toi, Irina, soupira Serena.
-Oui, répondit-elle. Juste pour vous dire qu'on a déclenché le plan "Eau Dormante" plus tôt que prévu. Vous ne pouvez plus passer par les galerie principales, donc, à moins d'emprunter les minuscules couloirs secrets et de ramper pendant trente minutes, vous êtes coincés dans cette salle.
-Super, gloussa Aïdan. Alors on dort ici ?
-Idiot, soupira Bertie avec un sourire en coin.
-Comment ça, "plus tôt que prévu" ? s'indigna Alric. On n'avait vraiment pas besoin de ça !
-Désolée, soupira Irina. L'ordre vient de Paolo.
-L'enfoiré, il l'a fait exprès !
-Du calme, sourit Serena. Bien sûr, Mag et moi allons rester ici. On a largement passé l'âge de crapahuter dans ces boyaux.
-Moi, ça ne m'aurait pas dérangé, annonça Aïdan d'un air espiègle, mais Bertie a les épaules trop larges, surtout pour le couloir 4, alors je vais rester ici pour lui tenir compagnie.
-Idiot, répéta le blond en se retenant d'éclater de rire.
-Bonne nuit", dit une petite voix.
Tous se retournèrent. Derrière Alric, Michiya s'était couchée à même le sol, et s'était endormie aussitôt. Dans le sommeil, ses traits semblaient tellement moins durs, plus enfantins. L'homme soupira et, d'un regard vers les autres, il imposa un doux silence que tous acceptèrent avec un sourire bienveillant.
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La Cité de l'Injustice
Mistério / Suspense[EN PAUSE, reprise probable en juillet] Michiya et Zoï vivent dans un empire fondé pour protéger ses habitants du mal qui règne à l'extérieur. Mais quand Zoï disparaît mystérieusement, Michiya, en tentant de retrouver son ami, réalise peu à peu que...