Chapitre 10

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Le reste de la journée se déroula sans incident notable et lorsque les cours prirent fin à 18 heures, Liz et Michiya se retrouvèrent ensemble dans les groupes de travaux d'intérêt général. C'était une des dernières règles instaurées par la directrice ; tous les soirs, juste avant le repas, les élèves se voyaient assignées à des tâches ménagères adaptées à leur âge.

Ce soir-là, le groupe des deux jeunes filles devait donc aider le cuisinier dans la corvée d'épluchage de patates. En se dirigeant vers les cuisines, Michiya jeta un regard inquiet vers Sonia, dont le groupe devait balayer le plancher du dortoir. Elle n'avait plus qu'à espérer que la rousse ne s'approche pas trop de son lit et de ce qui était caché dedans.

Le cuisinier -qui était aussi l'homme qui conduisait le fourgon le jour de leur arrivée à toutes- salua à peine le petit groupe d'adolescentes venu l'aider et, tandis qu'elles prenaient place autour d'une vieille table en bois brut, il leur tendit à chacune un épluche-légume et leur désigna un monticule de pommes de terre dans un immense panier à leurs pieds. Puis il tourna les talons et, dans un soupir collectif, le travail commença.

Une fois qu'elle était lancée dans une tâche, si celle-ci ne mobilisait pas trop son cerveau, Michiya pouvait laisser ses mains travailler pour elle et en profiter pour réfléchir. C'était la seule chose qui rendait la corvée supportable. Ainsi, tandis que les tubercules s'amoncelaient lentement dans la marmite située à l'autre bout de la table, son esprit s'évadait. Elle pensa à ce qu'elle avait caché sous son matelas et espéra très fort que personne, dans le groupe de Sonia, n'avait rien découvert. Elle leva les yeux vers Liz, installée juste en face d'elle et pensa à ce qu'elle dirait si elle savait que son carnet avait peut-être été lu par quelqu'un qui risquait de faire tomber à l'eau toute l'opération. Ce plan semblait réellement enthousiasmer la blonde, comme si c'était la chose la plus amusante qu'elle ait faite depuis très longtemps. Pour sa part, Michiya savait qu'il s'agissait d'un jeu beaucoup plus dangereux que ce que son amie tentait de lui faire croire. Elle avait la possibilité de retrouver sa famille et d'éclaircir le mystère qui planait autour de la disparition de Zoï, tout comme elle risquait de les perdre si elle était arrêtée pour de bon.

Sa famille. Cela faisait des jours qu'elle s'efforçait de ne plus y penser mais depuis quelques temps, les souvenirs remontaient en force, faisant apparaître quelques larmes dans ses yeux. Sa maison, sa petite chambre grise pour elle toute seule, la douceur des bras de sa mère...

Nolina. La mère de Michiya, sous ses airs un peu rudes, était douce et aimante. Sa dureté n'était qu'une carapace. Sa fille se le disait souvent : « Elle n'a pas eu le choix. On l'a obligée à être forte ». Nolina avait perdu ses parents très tôt et avait été prise en charge par les services impériaux d'aide à l'enfance. Rapidement, elle était devenue l'un des meilleurs éléments de la jeunesse pro-régime et, à partir de son adolescence, elle participait chaque année à des camps d'été organisés par le gouvernement. Là, au milieu des champs, entourés par les collines, les jeunes gens faisaient du sport, s'amusaient et apprenaient à devenir des citoyens modèles.

C'est lors d'un de ces camps, à l'âge de 19 ans, que la jeune femme avait rencontré Lubin. Cet homme, à peine plus âgé qu'elle, semblait tout aussi parfait et il servait souvent d'exemple aux garçons plus jeunes. Il lui avait plu tout de suite.

Seulement, après qu'ils aient commencé à se fréquenter, il lui avait avoué un secret qui avait ébranlé toutes les certitudes de Nolina : il faisait partie d'un réseau dont le but ultime était, sinon de détruire l'Empire, d'en ébranler les fondations. Son image de docile enfant de la Nation n'était qu'une couverture.

D'abord, elle l'avait refusé. Refusé de croire que l'homme qu'elle aimait puisse avoir des convictions contraires à tout ce qu'on lui avait appris. Refusé de continuer à le voir, car il était, selon elle, une menace contagieuse pour tous ceux qu'il approchait. Refusé de le dénoncer, aussi. Parce qu'elle l'aimait, bien malgré elle.

La Cité de l'InjusticeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant