Chapitre 4

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Je me remis sur mon piano. Il faut absolument que j'arrive à jouer « Fly » de Ludovico Einaudi. La plupart des filles ont des journaux intimes pour dire leurs tracas, leurs faiblesses, leur tristesse, etc.. et moi, j'ai le piano. Quand j'en joue, je suis hypnotisée, les yeux fermés, seulement les doigts qui bougent. C'est ma seule échappatoire. Je suis comme libre, et j'oublie tout le reste. Avant, c'était la gymnastique qui me libérait. Le problème, c'est que mes parents ont vite arrêté de m'emmener parce que je n'étais pas assez sage. Bien sûr, elle restera toujours une passion dans mon cœur, et j'en pratique seule, mais plus jamais en club. C'est sûr et certain.
A la fin de la chanson, mes doigts étaient engourdis, mais j'étais heureuse de ce que j'avais accompli. Il est rare que je joue devant quelqu'un, ou lorsqu'une personne se trouve dans la maison. La dernière fois, je pensais que personne n'allait m'entendre vu l'heure. Je m'étais trompée. Le souci, c'est que je ne sais jamais quand quelqu'un va rentrer. Du coup, je n'arrive jamais à totalement me libérer, mais ça me suffit déjà.
Je remonte dans ma chambre pour faire mes devoirs. Ce n'est pas comme si le baccalauréat était prévu à la fin de l'année. J'aurai pile dix-huit ans quand je le passerai. Mes parents ont un avis extrêmement partagé sur ce que je ferai plus tard.
Non, ce n'est pas moi qui décide. Moi, je dois simplement me taire, et obéir.
Mon père, lui, pense que je dois rester à la maison, car au cas où il voudrait se défouler un peu, ce serait moi qui subirait. Ma mère, elle, est certaine que je dois quitter la maison dès ma maturité, que j'ai ou non mon baccalauréat car, le seul fait de ma présence l'insupporte. Forcément, je suis plus d'accord avec ma mère. Il est clair que je quitterai la maison. Le problème, c'est que c'est toujours mon père qui gagne. Donc, je resterai à jamais chez eux, que ça me plaise ou non. De toute façon, que puis-je faire d'autre à part obéir ?

La porte de l'entrée claqua, je sursautai et la mine de mon crayon se brisa sur le sol. Mon père marche fortement sur les lattes du parquet que ça fait presque trembler la maison. Il cria d'en bas :
-Viens faire la vaisselle, tout de suite !
Il vaut mieux ne pas le faire attendre, je ramasse seulement mon crayon, et descends les escaliers quatre à quatre.
-Je lave ou j'essuie ?
Il me regarda d'un air dépité.
-Tu laves et t'essuies. Ça me paraît normal, non ?
-Mais... J'ai des devoirs à faire !
-Des devoirs... ? Gloussa-t-il. A quoi cela te sert de faire tes devoirs, puisque tu ne pourras jamais faire d'études idiote comme tu es, ricana-t-il méchamment.
Je devins rouge de colère, et répondis à mon père une fois de trop.
-Si tu penses que je suis si bête, pourquoi tu continues encore à me faire aller en cours, alors ? L'école n'est plus obligatoire à partir de seize ans !
Il se retourna, et sourit.
-Je le sais, figure-toi. Je pensais seulement que ça nous ferait du bien à tous de ne pas te voir trop souvent. Tu vois, à ta majorité, tu travailleras pour nous. Que tu le veuilles ou non, que tu es ton bac ou non. Même si cette question ne se pose pas... Tu donnes peut-être des nausées à ta mère, mais j'ai besoin que tu fasses le sale travail à notre place.
C'en était trop. J'en avais ras-le-bol de me faire traiter et humilier comme ça. Je ne pus me retenir plus longtemps.
-Ça vous fait plaisir tout le monde de m'humilier comme ça ? Je ne resterai jamais avec vous ! Je préfère encore habiter dans la rue, qu'avec vous ! Tu m'entends ? Une fois mes dix-huit ans, je partirai et je ne reviendrai plus !

Il pencha sa tête en arrière, ouvrit grand la bouche, et rigola à n'en plus respirer.
Une fois calmé, il me regarda d'un regard sévère, me prit les poignets, et m'emmena dans la cave.
J'essayai de me débattre, en vain. Il est tellement fort et grand. Que puis-je contre lui ?
Je risquai une question :
-Où.. Où tu m'emmènes ?
-Ça se voit, non ? Dans la cave !
-Mais pourquoi ?
-Ne t'ai-je pas déjà dit d'arrêter de poser des questions idiotes et inutiles ?
Il s'arrêta au milieu de la cave, et me dit :
-Tu réfléchiras à deux fois maintenant, avant de dire une bêtise. Quelques jours dans la cave te feront le plus grand bien.
Il tourna les talons, je courus vers la porte pour m'enfuir, mais il la ferma à clé sous mon nez en ricanant de plus belle.
Je regardai dans les alentours. Aucune issue. Pas la moindre porte, la moindre fenêtre, le moindre trou de lumière.
Je me recroquevillai sur le sol humide dans le noir de cette pièce. Combien de temps allais-je rester ici ? Une journée ? Trois jours ? Une semaine ? Je l'ignore.
Je suis déjà restée ici parce que j'avais accidentellement cassé un vase d'une valeur inestimable aux yeux de maman. Mais je n'étais pas restée plus d'une heure. Heureusement, car je pense que le vase n'était qu'une excuse.
Là, je resterai sûrement plus d'un jour, car j'ai désobéi une fois de plus, et que j'ai répondu. C'est tout.
Mon père, ma mère, ma famille sont des monstres. Ce n'est pas humain de séquestrer sa propre fille dans une cave. Ce n'est même pas légal. Mais qu'est-ce-qu'ils en ont à faire de la loi ? Rien du tout. Les policiers ne viennent pas faire des tours de maisons pour savoir si les enfants sont bien traités. Personne n'en a rien à faire en réalité.
Des enfants, adolescents, voire femmes, crèvent à cause de coups qui subissent à longueur de journée. D'autres, se suicident, et d'autres encore, meurent de dépression.
Ils en parlent seulement dans le journal, ou dans les médias, mais ils ne font rien.
Personne ne se bouge. Pourquoi ? Ils n'ont pas le courage.

Indésirée.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant