La douloureuse réalité

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Elle pianotait depuis dix bonnes minutes. Dix bonnes minutes pendant lesquelles ses longs doigts blancs –et agiles- maltraitaient allégrement l'accoudoir d'un fauteuil coûtant un mois de salaire. Et franchement, elle se fichait profondément  de la décoration de Raven ou de quoi que ce soit qui était en rapport avec son cher gérant-je-suis-riche-et-beau-comme-un-Dieu d'ailleurs. Parce que oui, Raven était beau, très beau, le genre qui faisait se pâmer toutes les prostituées de son établissement. Elle le chassa rapidement de ses pensées, recommençant à pianoter frénétiquement sur la pauvre chaise. Mais rien n'arrivait à détourner ses pensées de leur entrevue de la veille, pas même l'homme –dont elle n'avait pas daigné retenir le nom- qui s'efforçait de lui faire la conversation. Son regard lassé se posa sur une de ses collègues et elle lui fit comprendre d'un geste impérieux de venir la remplacer dans sa tâche aussi fastidieuse qu'ennuyante.

Parce que c'était ça aussi, d'être une prostituée : parler avec ses clients, même les plus ennuyeux, quand ceux-ci venaient chercher un peu d'amour. Chercher de l'amour auprès d'une prostituée. C'était tellement utopiste. Tellement risible que cela arracha un sourire narquois à Drina qui salua le client avant de laisser sa place. Mais les grandes horizontales jouaient tellement bien leur rôle que le client se pensait spécial en venant ici, se sentait réellement « élu » et aimé d'une belle femme. Tout cela n'était bien sûr qu'une mascarade théâtralement organisée et dirigée d'une main de maitre par Il Maestro Raven en personne. Avec horreur, elle se rendit compte que ses pensées avaient encore dérivées jusqu'à son terrible monstre de patron.

Les poings serrés, elle parcouru la salle principale du Rossignol. C'était un gigantesque salon dont la décoration n'avait de cesse de changer pour ravir les yeux exigeant du riche client qui posait son royal fessier dans les multiples assises. Depuis peu, c'était le style mille et une nuits qui avait été choisi. La salle s'était donc parée de tentures soyeuses et tapis orientaux, de coussins multicolores brodés d'or et de vaisselle tout en courbe et arabesque. Dans cet univers coloré et chaud, Drina ne pouvait passer inaperçu ; blancheur immaculée et rayonnante au milieu de la flamboyance des chaudes couleurs. Elle jetait des regards de reine hautaine aux autres filles du bordel mais se faisait sensuelle et doucereuse quand des clients posaient leurs yeux sur elle.  Même si elle n'aimait pas particulièrement sa prison dorée, elle avait une réputation à tenir : reine des glaces pour les unes, reine de la luxure pour les autres.

Ses pas la menèrent jusqu'au bureau de son patron, la main en suspend au-dessus de la porte, elle hésitait à frapper. L'angoisse lui nouait les tripes, elle qui était si sûre d'elle d'habitude hésitait comme une enfant qui avait fait une bêtise. Raven la punirait encore. Comme il l'avait fait hier.

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« Tu es prisonnière. Alors baise et tue. C'est tout ce que tu sais faire. »

La claque partit, impérieuse et sonore, rougissant la joue si blanche de Raven. C'était un geste impulsif qu'elle regretta immédiatement en voyant le regard noir de Raven qui se leva lentement de son fauteuil, la dominant largement de sa taille et de son aura plus que menaçante. Il la saisis par le bras et la tira sans ménagement, sa main était comme un étau sur son poignet et elle eut beau se débattre, il put la jeter sans ménagement à même le sol.

« Je t'en supplie Raven ! Je suis désolée, je ne voulais pas... »

Elle se recroquevilla sur elle-même, n'osant même plus croiser le regard de l'homme qui préparait ses instruments avec un calme olympien malgré la fureur dont il bouillonnait intérieurement. Les bruits de fer qui s'entrechoquait la firent sursauter, elle risqua un regard vers lui et le regretta instantanément. Raven avançait vers sa prostituée avec les chaines qu'elle ne connaissait que trop, dardant sur elle un regard froid qui détonnait avec le sourire sadique qui entachait la beauté de son visage. Elle aurait dût le supplier à nouveau, lui promettre de ne plus lever la main sur lui, pleurer et lui jurer d'obéir au moindre de ses ordres, mais les mots restèrent coincés en travers de sa gorge. Elle le fixait, les traits déformés par l'appréhension et la peur viscérale qui lui saisissait les tripes. Drina fixait les yeux vides de d'empathie de Raven qui lui annonçaient une punition douloureuse, La voix qui s'adressa à elle était toujours aussi chaude, tendancieuse, mais elle ne se laissait pas avoir : il allait la punir. C'était certain.

Le Rossignol BlancOù les histoires vivent. Découvrez maintenant