C'était étrange ce bruit entêtant, presque envoûtant par sa répétition et son intensité. Un martèlement incessant, assourdissant, qui occultait tout ce qui pouvait l'entourer. Où était-elle ? Cette simple pensée la ramena à une sorte de réalité, sa propre réalité, sa corporalité, et elle se rendit compte que le bruit provenait d'elle. Son cœur affolé menaçait de s'échapper de sa poitrine à grands renforts de battements qui résonnait douloureusement dans toute sa personne. Où était-elle ? Le bourdonnement dans ses oreilles s'accentua, sa bouche était sèche , pâteuse, son corps lui refusait la moindre expression la plus banale de sa vitalité. Seul son cœur lui rappelait, amèrement, qu'elle était humaine. La douleur qui la parcourait était inhumaine tant elle était intense. Une douleur inhumaine, quelle ironie ! Elle qui, par expérience, savait que la douleur était intrinsèquement liée à la nature humaine.Où était-elle ? Elle s'efforça de conceptualiser cette phrase dans son esprit, de passer outre la panique qui s'était emparée d'elle. La panique ? Pourquoi paniquait-elle ? Drina observa autour d'elle, ce qu'elle voyait ne parvint pas tout de suite à son cerveau, comme s'il ne voulait pas comprendre les images qu'on lui envoyait. C'était une grande chambre, outrancièrement décorée, c'était beaucoup trop chargé pour que l'œil humain puisse en déceler toutes les subtilités. Les murs semblaient suinter l'or tellement l'ornementation en était drapée ; moulures, encadrements, sculptures, bronzes, poignées de portes, rien y échappait. Tout n'était que surenchère esthétique où le programme iconographique s'était résolument perdu au profit de l'affichage ostentatoire de la richesse du propriétaire. Le propriétaire ?
Ses idées se précisèrent, ou tout du moins arrêtèrent de se bousculer en un flot désordonné et ininterrompu. Le fils de pute qui se faisait pompeusement appeler Prince-régent, c'était lui le propriétaire. Voilà où elle était : dans la chambre du fils de pute. Son cerveau accepta d'un seul coup les détails de la pièce qu'elle avait jusqu'ici refusé d'accepter : du rouge, du rouge partout. Un rouge profond par endroits, tirant sur le marron à d'autres. Le sang, non content de recouvrir certain mûrs en de multiples éclaboussures, imbibait le tapis. Autrefois, celui-ci était d'un blanc crémeux brodé d'or, maintenant ce n'était plus qu'un large camaïeu de rouge poisseux.
Comme si son corps s'éveillait aux autres sens, elle prit conscience que ses pieds s'enfonçaient maintenant dans l'amas spongieuse du tapis. La sensation d'un sang froid lui arracha un haut le corps qu'elle réprima tant bien que mal. Elle tenta de regarder ailleurs et une masse juste à ses pieds attira son attention. Comment avait-elle pu ne pas la remarquer avant ? Drina s'accroupit avec la raideur du corps ankylosé et tendis une main pour toucher cette masse, ce cadavre qui s'étendait devant elle.
Le macchabée avait une pose pitoyable, pathétique, replié sur lui même, les genoux remontés sur son torse et un bras en travers du visage dans un gente inutile de protection. Elle frôla des doigts le dos qui se présentait à elle, il était encore légèrement chaud, la rigidité cadavérique n'était pas encore apparue. Drina le retourna doucement, comme si elle souhaitait voir les traits du visage dont la tignasse brune et abondante lui rappelait dangereusement quelque chose. Des yeux noirs écarquillés, un nez droit, une mâchoire trop carrée, cet aspect viril, charpenté : le fils de pute.
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Les portes de la chambre s'étaient refermées sur elle, sur elle et sur le prince-régent qui l'observait avec ce regard hautement masculin de celui qui observe une belle femme qu'il sait acquise. Ce regard qui assombri le regard d'un homme, qui le gonfle de ce sentiment de supériorité que Drina ne connaissait que trop bien. Oh, bien sûr, elle ne savait que trop bien ce qu'il désirait, ce qu'il était persuadé d'obtenir d'elle : du sexe.
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Le Rossignol Blanc
FantasíaDrina, la lumineuse et célèbre prostituée, cache un lourd passé que tient d'une main de fer le propriétaire du Rossignol et geôlier aussi sombre qu'impitoyable. Entre haine et passion, le Rossignol se fait le cadre de l'histoire d'incubes et succube...