Macabre romantisme

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Raven n'avait aucune idée de ce qu'il pouvait ressentir à ce moment. Pouvait-il seulement ressentir quelque chose d'aussi fort ? Il avait simplement pris un bain pour tromper l'angoisse, et éviter de tourner en rond dans son bureau comme un lion en cage. Il était resté dans l'eau délicieusement chaude jusqu'à ce que chacun de ses muscles soit parfaitement délié et détendu. Une certaine anxiété les avait résolument crispés. C'était un incube propre, détendu, et au comble de la beauté négligée qui s'était posté en haut de ce qu'il appelait pompeusement « l'escalier d'honneur »

Il attendait, figé dans sa glorieuse posture de maitre des lieux, la main posée sur la rambarde de fer forgé, et les jointures blanches de trop la serrer entre ses doigts. Angoissé, lui ? Même s'il ne se résoudrait jamais à l'avouer –la fierté du démon- il l'était assurément. Il grogna pour lui-même.

« - Cette idiote va tenter quelque chose d'irrévérencieux, de totalement stupide. Elle va me quitter. »

Son angoisse atteint un nouveau palier quand il vit paraître Drina dans la pièce. Il se souvenait parfaitement de la robe qu'elle portait aujourd'hui : il le lui avait offert il y avait de cela un an à l'occasion de son anniversaire. C'était une robe d'apparence simple, mais dont les étoffes comptaient parmi les plus chères et plus rares du pays, sans parler du fil utilisé pour les broderies qu'il avait fait réaliser pour qu'il contienne la plus grande concentration d'or. Cette robe était un chef d'œuvre qui alliait avec finesse le luxe et la légèreté Une robe taillée pour Drina.

Il se souvenait très bien que la prostituée avait toujours catégoriquement refusé de la porter. Prétextant qu'elle était bien trop cérémonielle pour être usitée à l'intérieur d'un bordel. Dans une pulsion purement représentative de sa rancœur envers Raven, elle lui avait ensuite déclaré qu'elle ne la porterait que le jour le plus important de sa vie. Etait-ce alors par provocation qu'elle l'arborait fièrement aujourd'hui ? Qu'elle pavanait devant le regard froid de Raven de cette façon ? Une façon de dire : le plus beau jour de ma vie est quand je suis loin de toi ?

Ultime provocation : le pendentif qui se perdait entre ses seins. C'était une perle que son « inconnu » lui avait offert. Les doigts de Raven se crispèrent un peu plus sur la rambarde qui se déforma en un crissement désagréable. Son cœur était serré et sa poitrine était oppressée. Il détourna le regard de Drina un instant et le posa dans le vide, confronté à ses sombres pensées et à son instinct qui lui hurlait d'attacher Drina dans son bureau. De ne pas la laisser partir.

Pourtant il ne bougea pas. Il se contentait de se fustiger mentalement, d'errer avec incertitude au milieu de ce dilemme insoutenable. Sa tête lui semblait prête à exploser, elle lui tournait affreusement et le sang battait trop fort le long de ses tempes à son goût. Chez lui, cet état n'était jamais bon signe et souvent synonyme d'une crise imminente.

Quand s'était-il nourrit pour la dernière fois ? Sa dernière victime remontait à plus de deux semaines et son corps atteignait lentement et inexorablement ses limites. Il n'y avait pas plus dangereux qu'un incube assoiffé, et il était parfois nécessaire de l'abattre pour éviter que les cadavres ne jonche sa route. Raven était puissant, il pouvait se contrôler –Drina en était la preuve encore vivante- mais il dépensait trop d'énergie en ce moment et n'en récupérait pas assez. Le ratio était d'ailleurs négatif. Ses yeux si noirs se braquèrent sur la blancheur de la chevelure de Drina. Elle attisait sa soif, la brûlure ardente qui l'étreignait et le consumait peu à peu.

Son nom prononcé par Ivan le sortit de cette sorte de transe qui s'était emparée de lui. Il dressa un peu plus l'oreille, trop tard, et ne put que saisir la réponse de la prostituée à cette question qui flottait encore dans l'air.

Le Rossignol BlancOù les histoires vivent. Découvrez maintenant