Le Rossignol Blanc

Le chat et la souris

Quand Drina était entrée dans le bureau de Raven et l'avait trouvé vide, son exaspération était montée d'un cran, voire de plusieurs crans. Elle avait repris, telle la reine des lieux, sa place sur le bureau de Raven après avoir balayé sans aucun ménagement les papiers qui y trônaient à sa place. Elle se dressait fièrement, droite comme un piquet, laissant son vêtement souligner son corps svelte et ses formes langoureuses. Drina aurait pu prendre une pose lascive comme elle le faisait pour le « menu » mais elle préférait exécuter ce qu'elle faisait de mieux : mépriser et défier son patron. La raideur de son corps s'intensifia quand elle entendit la voix désagréablement douce de Raven se rapprocher du bureau.

Il fit son entrée avec une grâce certaine, accompagné d'un second homme avec lequel il devisait en souriant. Un sourire naturel, vrai, sans aucune visée séductrice, sans aucun sous-entendu malsain. Il avait relevé ses cheveux noirs au-dessus de son crâne en un chignon lâche tenu par un ruban argenté, dégageant ainsi son visage aux traits réguliers qu'elle eut tout le loisir d'observer. Il avait une mâchoire bien dessinée, des lèvres roses délicatement ourlées qui appelaient aux baisers, et un nez fin. Mais ce que l'on remarquait en premier, c'étaient ses yeux noirs et profonds. Des yeux qui vous transperçaient et dans lesquels on se perdait si on ne prenait pas garde, des yeux surmontés de sourcils fins et soulignés d'une frange de longs cils. Ce visage d'adonis sans défauts allait de pair avec un corps tout autant agréable à regarder. Grand et élancé, il avait la musculature développée sans tomber dans l'excès. L'ensemble était mis en valeur par la chemise légèrement ouverte sur son torse et un pantalon de toile noire qui le moulait à la perfection. L'autre homme, un châtain aux yeux gris, semblait taillé dans le même marbre que Raven, et part le même sculpteur tant leur beauté était similaire. Trop parfaits pour que la prostituée les apprécie.

Drina émit un claquement de langue désapprobateur en fixant les deux hommes qui tournèrent leurs yeux d'un même ensemble parfaitement synchronisé vers elle. « L'ami » de Raven, lui, sembla apprécier ce qu'il vit face à lui. L'éclat lumineux qui s'empara de ses yeux argentés était assez éloquent, il s'approcha de Drina d'une démarche féline, ne semblant voir qu'elle et oubliant la présence de Raven.

« - La beauté blanche en personne, je suis tellement honoré. Et séduit. Vous êtes aussi magnifique que les rumeurs le disent, et que le « menu » le laisse entrevoir. Je suis Silver, un surnom que je tiens grâce à la couleur de mes yeux.»

Quand il prit sa main et y déposa un baiser sensuel, Drina plissa le nez et pinça les lèvres, observant de près son interlocuteur qui, de toute évidence, allait devenir son prochain client. En général, elle se gardait le droit d'accepter ou non les clients qui auraient la chance de profiter de ses services. Elle était peut-être vénale, néanmoins elle avait un honneur certain et les hommes qui accédaient à sa couche étaient trié sur le volet, et riche. Il fallait l'avouer. Mais au moment où elle allait repousser le prétendant à ses services, elle croisa le regard de Raven. Ce regard qui réchauffait les ardeurs des femmes la glaça sur place, elle sût à ce moment qu'elle n'avait pas le choix, qu'elle devrait écarter sagement les cuisses. Bizarrement, elle crut déceler autre chose dans son regard, il se comportait comme un homme fier de présenter un objet de valeur pour se vanter, avec a contrario la peur sous-jacente qu'on le lui abime, ou que l'on lui vole.

La jalousie était un poison qui pourrissait l'âme d'un homme, Drina y avait déjà assez fait face avec les clients du Rossignol pour la reconnaître. Raven présentait les premiers signes d'une jalousie parasite envers son ami et pour son jouet préféré. Elle savait exactement quoi faire pour l'attiser, la rendre insoutenable et destructrice. Elle savait transformer les braises en un brasier ardent et incontrôlable.