Mortelle séduction

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Les yeux de Raven firent lentement la navette entre Drina et le cadavre qui refroidissait sur le tapis brodé d'or qui coûtait une petite fortune. L'odeur capiteuse du sang qui s'écoulait en minces filets des morsures sur le corps chatouillait ses narines sensibles, et ça l'excitait. Il revivait par cette simple odeur la jouissance qu'il avait ressentie avec cette fille. La jouissance de la soumettre et d'entendre ses cris de douleur mêlés au plaisir de souffrir, la jouissance de lui faire l'amour, de la vider peu à peu de son énergie. Et enfin, l'apothéose, se nourrir de cette énergie délicieuse, de ce sang épais qui colorait sa peau si blanche de nuances pourpres magnifiques. Il soupira d'un plaisir non feint en observant son chef d'œuvre, mais sa toile avait un goût d'inachevé, elle était tellement fade par rapport à Drina qui n'avait toujours pas bougé.

Il observait la tension de son corps, la douce incertitude qui s'était emparée d'elle se transformer en peur viscérale. La nature reprenait ses droits : quand une proie sentait un danger, elle tentait assurément de fuir. Pourtant, Drina n'esquissa aucun geste : se contentant de sa belle immobilité sculpturale. Mais son esprit était à vif, elle savait que s'il voulait la tuer il l'aurait sûrement déjà fait. La grande horizontale se sentait souris entre les pattes duveteuses d'un chat, aussi beau à regarder que ses griffes étaient acérées. C'est à ce moment précis que l'idée germa dans son esprit fertile alimenté par la peur de la mort : elle allait le séduire. Non. Elle devait le séduire, devenir la femme la plus importante de son univers, incarner son souffle vital. Drina allait le pousser à lui offrir sa liberté sur un plateau d'argent.

Cette réflexion intense ne se trahit à aucun moment sur son visage, Raven pût palper sa peur, la sentit sur sa langue comme un bonbon particulièrement à son goût. Elle fit un pas –le plus dur- vers lui et fini par les enchainer, le dépassant et s'accroupissant près du cadavre. Vu de près, l'image était d'autant plus saisissante, les blessures plus sanglantes et la mort plus réelle.

« - Elle porte mes vêtements, Raven. »

Sa voix était mesurée, presque ferme. C'était de plus la seule chose qui lui était venu à l'esprit. Tout de moins la seule qui ne trahirait pas son idée. Elle doutait en effet que « Tu aimes baiser des cadavres en les faisant ressembler à ta pute préférée » soit ce qu'il y ait de plus approprié. La voix de Raven transperça l'air et vint se ficher dans le ventre de Drina, lui tordant à nouveau les tripes

« - Que veux-tu, si je t'ai achetée c'est parce que tu me plais. Et comme je ne veux pas te manger, je trompe mes envies avec des filles pauvres et prêtes à tout pour une pièce. »

Avait-elle dit qu'elle trouvait le Général Kantos moralement insoutenable ? Si elle ne l'avait pas tué de ses propres mains, elle s'excuserait platement. « Te manger ». Ces deux petits mots tournaient et se retournaient dans son esprit, mais elle n'arrivait pas à en saisir un seul et unique sens concret et tangible. Raven, lui, se garda bien de lui répondre. La laissant dans un flou artistiquement orchestré.

« - Je suppose que tu ne m'expliqueras pas. Que tu me laisseras me demander si je dois fuir ou non.

- Tu supposes bien, et de toute façon tu ne peux pas t'enfuir. »

En effet, elle se souvenait très bien de la dernière fois qu'elle avait tenté de s'échapper, profitant d'un travail directement chez le client. Malheureusement pour elle, Raven avait des yeux partout –par yeux elle sous-entendait des gros-bras- et ils l'avaient interceptée quelques jours après sa fuite. Ce jour-là, ils l'avaient trainée devant un Raven hors de lui, la punition qu'elle reçut avait nécessité des jours d'alitement. Pendant des heures interminables, il l'avait torturée jusqu'au sang, jusqu'à la limite de briser son esprit, la laissant pendre lamentablement au bout des cordages qui lui sciaient la peau. Depuis, elle n'avait plus eu le droit de sortir du Rossignol.

Le Rossignol BlancOù les histoires vivent. Découvrez maintenant