Le Rossignol Blanc

Machiavélique liberté

La beauté blanche. Ce nom avait un goût de légende quand il franchissait les lèvres d'un homme de la capitale. Coqueluche de la gente masculine, ennemie des femmes mariées, Drina était connue comme le loup blanc et devenait un mythe dans le reste de l'empire. Légende, certes, mais une légende sur laquelle peu de personnes pouvaient réellement mettre un visage, et ces privilégiés ne perdaient pas un instant de se vanter pour briller en société. De ce phénomène de popularité naissait un trafic qui amusait beaucoup la prostituée : certain s'arrachaient à prix d'or tout objet qui lui aurait appartenu ou une des rares photos –un produit de luxe- pour lesquelles Drina avait daigné poser.

Ivan, comme tout le monde, connaissait Drina. Il la connaissait d'autant plus qu'il était l'homme de confiance de Raven, un poste qui lui donnait le droit d'observer la beauté blanche à loisir à défaut de pouvoir la toucher. Il la connaissait depuis deux années, deux années trop courtes à ses yeux où il l'avait vu devenir plus belle de jour en jour, mais aussi devenir plus sombre.

Alors, quand Raven lui avait demandé d'être le garde du corps personnel de Drina pour une journée, il n'avait pas hésité une seconde et s'était présenté le jour dit au Rossignol pour sa beauté blanche. Le colosse ne passait pas inaperçu, du haut de ses deux mètres, avec sa carrure imposante et sa musculature saillante. C'était un véritable monstre colossal qui impressionnait par sa seule présence, mais les gens qui le connaissaient personnellement savaient qu'il était sûrement la personne la moins violente possible.

« - VA MOURIR ! »

Il connaissait cette voix entre toutes. Elle avait raisonné dans tout le bordel et venait de la chambre de Drina près de laquelle il s'était posté pour l'attendre. Elle fût suivie d'un énorme fracas et de Raven qui ouvrit la porte à la volée en esquivant une dague qui se ficha dans le mur en le ratant de peu. Il était hilare, son rire magnifique et chantant s'élevait légèrement dans l'air et l'emplissait de ses échos agréables, et il se tenait le ventre tant ses abdos étaient douloureux sous l'effet du rire.

« - Rapprochement épidermique ?! Tu te fou de moi ?! »

Cette fois ce fût Drina qui passa le pas de porte, poings sur les hanches, sourcils froncés et complètement nue. Ivan détourna directement son regard de l'attrayante nudité de la prostituée et se concentra à la place sur Raven qui se remettait à peine de son fou rire qui avait fait perler des larmes sur ses pommettes saillantes.

« - Raven, tu me reparles encore une fois de ton putain de rapprochement épidermique, et je fais la grève du travail ! Tu m'entends ?!

- Tu aimes trop ça pour arrêter voyons ! Profite bien de ta journée à l'extérieur. Ton premier réserve tes jolies fesses pour demain. »

Drina émit un grognement exaspéré et n'eut pour réponse que le rire de Raven qui s'engagea dans les escaliers en lui faisant juste un petit signe de la main. Drina tourna les talons dans un tourbillon de cheveux blancs et retourna à sa sélection des vêtements du jour sans vraiment prendre attention aux mimiques de Raven, toute énervée qu'elle était. Mais Ivan, lui, n'était pas dupe et il connaissait son employeur par cœur. En effet, Raven l'avait pris sous aile alors qu'il n'était qu'un gamin sans famille trainant dans les quartiers mal famés qui, pour survivre, avait fait l'erreur d'essayer de voler le porte-monnaie de l'incube. Bien sûr, il avait été pris sur le fait mais, lui qui s'était attendu à une punition dans les règles de l'art, c'était vu proposer un toit, de la nourriture, et un petit travail de coursier plutôt bien rémunéré. Il était dès lors devenu le messager zélé de Raven, exécuté la moindre de ses volontés avec la fidélité sans faille de l'enfant émerveillé qu'il était. Emerveillé par cet homme riche, au charisme et à la beauté indéniables à qui les plus hautes sphère de la société étaient ouvertes. Raven était devenu le modèle à suivre, même si Ivan savait qu'il n'était pas humain.