Chapitre 9 - Cocon

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Je me vois dans le miroir.  Je ne veux plus de cette barbe que je laisse pousser depuis... six mois.  Elle est bien trop longue.   Je prends des ciseaux pour la couper de près.   Je travaille vite, les poils remplissent le lavabo.  J'ouvre le robinet pour m'asperger le visage.  Je bois un peu d'eau : elle est salée !  Avec une grimace, je recrache.  Je mets de la crème à raser sur mes joues et ensuite je me rase de près avec de grands gestes précis.  À chaque passage, il me semble être plus léger, plus jeune, moins fatigué.  Finalement, je me rince et m'essuie avec une serviette.  Le reflet que me renvoie le miroir est celui du Adan d'avant : résolu et curieux, sûr de lui.

— Dǎn dà , me glisse une voix  moqueuse à l'oreille.

"Audacieux"...

Mais qui a parlé ?   J'observe dans le miroir le reflet de la pièce où je me trouve : la salle de bain de l'Auberge !  Laurenn et Mikel.  Je dois les trouver.

Je descends l'escalier qui mène à la salle à manger mais je me retrouve les pieds dans la mer qui a envahi le bâtiment.  Il n'y a plus rien, que de l'eau.  Je sais que c'est la mer, mais elle est d'un calme plat.  Aucune vague ne vient briser sa surface.

— Laurenn ! Mikel !

Un grand cri s'échappe ensuite de mon corps.  Les larmes inondent mon visage. 

Je les ai perdus !

Je donne des coups dans cette eau qui m'empêche de les trouver, de les retrouver.  Je me retourne vers le mur et de mes poings, j'assène des directs à répétition dans la cloison.   Mon acharnement soulève un nuage de cendres et de fumée.   Le mur brûle !  Je suis envahi par des lucioles de tisons qui virevoltent autour de moi et me picorent le visage.

Je remonte l'escalier en vitesse mais il est encombré par des bouteilles d'alcool vides que je repousse du pied avec rage. Je les entends se fracasser derrière moi, en dégringolant les marches. Je réussis à passer par dessus une marche passablement encombrée mais, à la suivante, mon pied s'enfonce dans la structure même de la marche : elle est creuse et rempli de gélules d'Ombres grises qui fondent et s'accrochent à la peau nue de mes jambes. Je sens l'effet enivrant et sédatif de la drogue s'insinuer en moi. Je suis fatigué... elle me repose. J'ai mal... elle m'engourdit. J'ai les yeux qui brûlent... elle me soigne. Je me souviens amèrement... elle me fait oublier. Je ferme mes yeux et plonge dans cette douce hébétude.

« Tu m'amènes voir l'océan ? » murmure la voix de Broot.

— Broot ! Où es-tu ?

J'ouvre les yeux et libère mes pieds de lasubstance grise et visqueuse qui les emprisonnait. Je saute sur le palier, essouflé, avecun cri de rage et je vois le graffiti sur le mur mais je n'arrive pas à lire ce qui est écrit !  J'ai mal à la tête, mes yeux pleurent et je manque de souffle.  Où est Broot ?  Je vais dans la chambre, le lit n'est pas défait.  Son coquillage est là, posé sur l'édredon, auréolé de grains de sable miroitants.  Je le prends et le porte à mon oreille.

— Máo bīng.

La même voix moqueuse que tantôt,  en un simple murmure.

— Adan !

Je reconnais !  C'est Jessie qui m'appelle !  Je redescends l'escalier mais l'eau, dont le niveau est monté, m'empêche maintenant de rejoindre le rez-de-chaussée.

— Jessie !  Non !

Je tente de hurler, mais ma voix s'étouffe, mes efforts ne réussissent à produire qu'un minable borborygme.  Je m'efforce d'émettre un cri plus clair mais peine perdue.  J'étouffe de plus en plus.  Je porte mes mains à mon visage et mes doigts rencontrent des filaments qui en partent dans tous les sens et qui s'enroulent autour de mes poignets de plus en plus fermement.   Qu'est-ce que c'est ?  Ce sont mes cheveux, ma barbe ?  Je tire pour les enlever mais ils s'enroulent autour de mon corps et mon cou.   Cela ressemble à des algues d'un brun rougeâtre. J'étouffe.

C-14 : L'Enfant sans ombreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant