Chapitre 22 : Exactam eam

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La noirceur s'est installée.   Seul le ressac de la mer et le cri d'un animal nocturne meublent les lieux.  L'ombre d'un des hommes de Gan passe près de la galerie, hochant la tête pour répondre à la salutation de Michewa.

C'est Charles Dunkins qui reprend après un long moment où les trois hommes sont restés perdus chacun dans leurs pensées :
— Ces hommes qui assurent notre sécurité, tu es sûr d'eux ?
— Autant que de moi-même, répond Mich avec un geste assuré du menton. Au fil de ma «carrière», je me suis fait bien des ennemis mais aussi des amis.  J'ai joué pendant des années des doubles jeux, allant là où j'y trouvais mon avantage, sans me préoccuper des conséquences. Mais il y a une ligne, dans toute cette immensité, qui s'est tracée, depuis ma rencontre avec Lescaux.  Le long de ce chemin, je me suis trouvé des alliés, comme Adan, Mark et Naïsha ; et comme ces hommes.  De ceux qui ont faient fi de mon passif, qui ont su aussi me garder en vie, de l'autre côté... ici.  Une lumière qui éclaire les grains de sable que nous sommes et les emporte ensemble pour quelque chose de plus grand que nous ne comprenons pas.

— Encore tes paraboles Mich ! s'exclame Mark avec un sourire.  Dis plutôt que nous sommes emportés sur un chemin dont nous ignorons le but, si ce n'est que de retrouver Adan et les autres, de protéger Taisha et ...

Mark fait un silence abrupte que seul Mich perçoit.  Il tourne son regard vers Mark, mais celui-ci se contente de lui faire un sourire rassurant, alors que Charles ajoute :
— ... et je suis sur ce chemin on dirait, avance-t-il en tendant sa main vers l'asiatique qui se retourne vers lui.
— Ce serait un honneur Charles, affirme sincèrement Michewa en lui serrant la main.
— Cela s'arrose ! Quelqu'un en veut une avec moi ? demande Mark en se levant avec les deux bouteilles vides toute en ouvrant la porte du chalet de plage.
— Pas pour moi, merci, répond Charles.  Elles dorment ?
— Oui, Jessie a reçu une petite pilule rose de Naïsha. Cela l'a aidée à tomber endormie.  Elle va pouvoir prendre un peu de repos.
— Mark, tu as contacté notre millionnaire, Ken Walton ? questionne Mich.
— Oui, il nous attend demain à son...

Une déflagration l'interrompt.  Gan se relève prestement, l'étui de son katana à la main.  Mark se retrouve l'arme dans une main et les bouteilles dans l'autre.
Ils entendent des bruits de lutte et des cris non loin dans la pénombre, vers la limite des flots. Puis des froissements de pas et plusieurs silhouettes se profilent dans leur champ visuel.  Mich dégaine son arme dans un feulement de métal brillant.
— C'est nous Michewa shīfù !
Mich rengaine son katana mais le garde en main.  Ils vont à la rencontre des nouveaux venus en faisant quelques pas dans le sable.  Dans la faible lueur lunaire entre deux nuages, ils discernent Chen, l'oeil tuméfié, une fusil de précision à la main qui précède deux de ses acolytes, également amochés par un combat, qui soutiennent un inconnu.  Un rayon de lune leur révèle la chevelure caractéristique d'un Máo bīng.  Ce dernier est blessé à une jambe et a aussi des blessures au visage.   Il se fait malmener par ses geoliers alors qu'il tente de s'échapper.
Chen tend le fusil à viseur à Mich :
— On l'a trouvé près des Dunes.  En place pour toucher toute cible par ici.  Il s'apprêtait à installer un viseur de nuit.
Mich observe l'arme.  De la haute artillerie.
— Il te visait shīfù.
— Je vois.
Sans un mot, il s'approche du Máo bīng.   Il prend une lampe de poche à la ceinture d'un de ses hommes et la pointe sur le visage de l'homme aux cheveux blancs.   Ce-dernier le toise ouvertement, un sourire en coin.   Le tibétain lui empoigne la mâchoire et lui tourne brusquement le visage.  Il braque la lumière derrière une oreille puis l'autre.   Il y touve un sigle différent, comme un code barre, mais aucun double CC ne l'accompagne.
— Quel est ton nom ? Qui t'envoie ?
— ...
— Réponds !  Tu travailles pour qui ?
— ...
— Si tu tiens à ta vie, je te conseille de répondre !  Pourquoi es-tu là !
— ...
Mich lui envoie un direct à la mâchoire.  Les genoux du Máo bīng fléchissent.  Les deux hommes qui le retiennent le redresse.   Il a la lèvre fendue, il crache le sang et son dédain vers Gan.  Il tente encore de se défaire de la poigne des deux hommes qui le retiennent.
— Tu le sais ! grince-t-il finalement.
— Informe-moi !
— Je suis là pour te buter, toi et la pondeuse !  On devait récupérer l'Alpha et le Bêta !
Il ricane méchamment :
— Mais tu n'es même pas foutu de les garder en vie.   Tu les as laissé se noyer comme un con ! Tout ceux qui s'approche de toi, sont condamnés à mourir !  Tu portes malheur !  On trouvera ta pute et son batard.  Il a plus de valeur que toi.
Mich commence a découvrir sa lame en faisant un pas de plus vers l'homme.  Ce-dernier le défit du regard.   Mark s'interpose pour arrêter son ami :
— Non Mich !  On a besoin de lui.   Il peut nous donner des renseignements précieux.
— Tu crois ça le Geek ! crie l'homme en se débattant pour se rapprocher d'eux.  Tu devrais arrêter de croire en lui !  Je ne vous donne pas long à vivre encore !  Vous n'êtes que des morpions !
Son air devient diabolique puis il ferme les yeux et murmure :
Exactam eam ! crie-t-il.

Ses yeux fermés se figent comme le reste de son corps.  Sa peau devient comme du marbre, striée de vagues blanches et miroitantes.   Ses jambes cèdent sous son poids, emportant avec lui ses deux sbires qui tentent de le retenir de tomber.
Alors que Mich fait un pas vers le Máo bīng, il voit la peau de son visage rougeoyer jusqu'à devenir lumineuse. La surface tremble et semble se boursoufler et commencer à fondre.
— Éloignez-vous ! crie Mark qui perçoit ces manifestations comme un danger.
Les hommes prennent un temps à obéir, ébahis par l'aspect de la tête de leur prisonnier.  Elle se déforme de plus en plus et la transformation inexplicable se propage au cou puis sous les vêtements qui fument comme s'ils étaient soumis à une chaleur intense.
Ils s'éloignent enfin du Máo bīng dont le corps s'écroule dans le sable comme une masse. Le rougeoiment s'étend sur la silhouette puis un brasier de flammes bleues sans fumée inonde le corps inerte.
Sous leurs yeux incrédules, c'est tout le corps qui devient lumineux dans la nuit.   Finalement, après un bref éblouissement, une noirceur intense s'installe.   La masse est inerte, intacte en ses formes mais carbonisée.  Noire silhouette cadavérique  dans le sable blanc, toujours vêtu de ses vêtements sombres.  Sous l'effet du vent du large, une fine poudre noirâtre s'étiole dans les airs, provenant de la surface initiale de peau.

Lorsque Mich s'approche et touche le visage cendré, il ne s'en dégage aucune chaleur mais les formes s'effritent sous un simple effleurement.   Mark et Charles viennent aussi observer leur ex-prisonnier.   L'Écossais, en inspectant les vêtements, y découvre un cheveu blanc intact, qu'il s'empresse de pincer entre ses doigts :
— Qui est ce gars ? murmure-t-il en montrant sa trouvaille à ses voisins.
Puis, il le dépose dans un papier qu'il trouve dans sa poche.
— Chen ! ordonne Gan en se relevant.  On remballe tout !   On doit être parti dans les 5 minutes. Mark, Charles : allez chercher les filles, on quitte à l'instant. Mark, tu devances le rendez-vous avec Walton. On a besoin de la protection digne d'un millionnaire.

Tous se met en branle à ses ordres.  Mich attrape le bras de Chen et lui glisse à l'oreille :
— Reste avec quelques-uns des gars et assure-toi de ne laisser aucune trace.
Chen hoche la tête sombrement.
— Oui shīfù, on efface.

Mich le laisse aller en grincant des dents.  Tout en reposant son katana dans son dos, il regarde le cadavre dont la marée haute commence à effleurer les jambes éphémères :
— Non, je ne porte pas malheur, pas avec cette lumière qui me conduit... sa lumière.

C-14 : L'Enfant sans ombreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant