Chapitre 24 : Plongée

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Des images.  Des voix.   Des sensations.   Des gestes.   Des odeurs.  Des goûts.

Un kaléidoscope, un tourbillon, une succession, un ballet incessant, tournoyant.
Un peu comme les souvenirs partagés entre Alva et Adan et qui avaient tant émus la jeune fille.
Mais cette fois, c'est Niabor qui dirige l'immersion dans la conscience mémorielle de l'humain.

Le tout se fait selon la volonté du Sibanwl, selon ses interrogations et ses priorités.  Alva n'est que le canal de jumelage.  Elle assiste en spectatrice à l'étalement des trouvailles de Niabor, en éclats éparses et miroitants. Cela se fait sans censure, sans voile et surtout sans empathie.

Alva y découvre le trajet de vie de l'homme qu'elle a appris à connaître et à respecter.

La jeune fille est surprise de la quantité d'informations, de souvenirs, d'émotions qui ont tissés l'être humain.  Sa propre personne ne provient que d'un si court chemin !   Ses gènes y jouent un si grand rôle.  Mais dans le cas d'Adan, outre le génotype hérité au premier instant de sa vie, il y a tant de choses qui se sont construites, épanouies, diversifiées...

Qu'est-ce qui forge l'humain que l'on est ?

Les gens, les événements, les moments de joie, de peine, les découvertes, les rencontres, les succès, les amitiés, les amours, les échecs, les abandons, les trahisons, les exploits, les doutes, les croyances, les valeurs...

Dans une multitude de bulles de souvenirs, Niabor laboure violemment dans les entrailles psychiques d'Adan.  Il en fait un tri rapide, sans s'y attarder ni tenter de cerner la véritable nature de l'humain.  Il inspecte froidement comme un scientifique qui dissecte une étrange bestiole afin d'en cerner le fonctionnement.

Le spectre des parcelles de vie qui émeuvent Alva ne sont pas les mêmes qui interpellent Niabor.  Là où Alva découvre avec intérêt et empathie la vie d'Adan, son ami,  Niabor recherche des faits pour bien évaluer Adan, en tant que représentant de l'espèce humaine.

L'introspection achève les dernières ressources énergétiques d'Alva qui se sent dériver dans une faiblesse inconsciente.  Dans la pénombre qui inonde l'arrière de ses paupières, les dernières images qui ressortent sont plus récentes : Lauren et Mikel a l'Auberge, Charles et l'Adrienne, les yeux pâles et confiants de Broot, le regard doré de Jessie, les traits acérés de Mich, le rire franc de Mark, le sourire amical de naissance, son propre sourire confiant dans le flou de l'eau... tous ces visages composent la trame de vie d'Adan, à ce qu'il aspire actuellement, ses espoirs, ses peines et ses projets.

Une noirceur s'installe... puis, Niabor ressort deux images : un double C enchaîné ainsi que celui d'une gélule au treillis argenté...

Mais surtout ce qui perturbe Alva, ce sont les sentiments qui y sont associés, associé à la volonté d'Adan : l'oubli, la fin, la mort... la sienne.  

... ... ... ... ... ... ...

Froid.  Noirceur.  Silence.  Étourdissement.  Pression.  Douleur.

Je repousse de toutes mes forces le malaise qui grandit en moi.  C'est une oppression, un mal de cœur, une migraine.   Mon corps est aussi lourd et gourd que mon esprit.

Je ne réussis pas à me situer.  Où suis-je ?

La seule chose que je ressens à la surface de ma peau, c'est un liquide visqueux qui me baigne en entier.  Recroquevillé sur moi-même : je suis nu !

Je ne respire pas !  Je ne peux pas !  Je vais me noyer dans ce truc !

Je panique !   Mort ?

Je me débats en tentant de retrouver un coin d'air.  Mais où sont le haut et le bas ?

Mais si je bouge, je ne suis pas mort.  J'ai la sensation tactile de mon corps et de ce bouillon tiède qui m'enveloppe . Et je ne suis pas fou... mon cerveau fonctionne et je peux bouger mes membres.   Pas beaucoup car une membrane restreint mes mouvements.

Je m'agite encore mais sans obtenir de changement utile dans ma position. « Calme-toi Lescaux. Prends sur toi.   La panique n'aidera pas.   Respire. »

J'esquisse un sourire à cet ordre impossible que je viens de me donner.

Mais, je ne ressens pas la nécessité de respirer et mon corps fonctionne très bien sans air.  Bonne nouvelle.

Je tâtonne autour de moi pour explorer la membrane.   C'est une paroi en tissage souple qui s'étire quelque peu sous la pression de mes bras et jambes.  Mais elle reprend sa place dès que je cesse de pousser.   Elle a la forme d'une sphère allongée plus ou moins uniforme, élastique et très résistante.  Comme une cage comblée de liquide, un sac amniotique !

À nouveau, la panique s'insinue dans ma tête !   Pourquoi suis-je là ?   Pour combien de temps ? Où sont les autres : Alva, Broot et Jay-Jay ?

Alors que j'essaie encore de briser la paroi en empoignant les fibres et en tirant dessus, un faisceau de lumière éclaire l'extérieur de ma geôle.  Mes yeux perçoivent avec soulagement cette lumière : je ne suis pas aveugle.   Je détaille la couleur et la constitution de la membrane pour tenter de répondre à mes questions calmement.

Mais la seconde suivante, je tombe en pleine crise de panique !  Je reconnais la nature de la paroi !

Je suis dans un Cocon !

Un sal cocon d'algues rouges !

Mon corps se cambre, je perds le contrôle de mes gestes et de mes réactions alors qu'un cri inaudible s'extirpe sans fin de ma bouche ouverte !

C'est un cauchemar !   Non !

Dans la pénombre rouge du liquide qui m'enveloppe, je discerne avec effroi des particules blanches et brillantes qui se détachent de la paroi d'algues.   Je les vois qui se collent à ma peau. J'essaie de les enlever mais elles s'immiscent dans mon épiderme et me rendent doucement brillant comme une créature phosphorescente.   Un picotement et une chaleur s'en dégagent. Que vont-ils me faire ?   Me digérer comme ces plantes carnivores ?

Ces pensées ne font que maximiser ma panique.

Mon corps s'épuise de mes gestes inutiles et mon esprit ne réussit plus à faire bouger un muscle. Je me sens engourdis de plus en plus et mon esprit s'évade, je le sens ...

Vais-je mourir ainsi ?

Mon dernier sursaut de logique et de me dire que Jessie est en sécurité.

Jessie.

C-14 : L'Enfant sans ombreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant