Chapitre 12 - Lueurs

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Le lendemain matin, le soleil se lève sur Santos dans un ciel clair et limpide. Les premiers rayons de soleil surprennent Adan assoupi dans un fauteuil près du lit où Broot dors toujours profondément. La veille, une fois la mission de Michewa et Alva terminée, le journaliste est venu relever la docteure auprès du gamin. Adan s'est assis pour réfléchir aux événements en attendant le retour de ses amis. Il a dû s'endormir.

Il s'étire doucement puis se penche pour observer le petit : il voit toujours en lui les traits enfantins de leur première rencontre mais il constate, presque choqué, que la physionomie de Broot a pris quasiment cinq ans dans ce foutu cocon. Un temps foutu... Ses yeux se perdent dans le vide et il revoit des images de sa jeunesse. Ses souvenirs le ramènent vers Laurenn et Mikel, vers sa mère et son père. Il n'a plus de famille... Son esprit s'embourbe dans les images. Ses yeux se troublent. Il tente de reprendre le contrôle du tourbillon de son esprit.

Il fixe Broot intensément. Voilà son présent. Avec Jessie. À la pensée de la belle rousse, ses yeux s'éclairent de nouveau. Il doit agir posément pour aider Broot, pour protéger ceux qui l'entourent, ceux qu'il aime, ceux qui l'ont ramené à la surface de cette vie.

Il pose doucement sa main sur le petit front où broussaillent les fins cheveux blancs. La peau est tiède et douce. Dans son sommeil, le petit a toujours la fossette sur la joue gauche près de la commissure de la bouche. Ses petites mains sont encore enfantines, elles aussi ornées de ces petites concavités à chaque jointure des doigts. Il se rappelle de la peur panique et de l'incompréhension de Broot, de son récit de misère avec ses mots d'enfant. Comment peut-on infliger le moindre mal à ce gamin... peu importe la nature de son origine. Personne n'a le droit... Adan réfrène le sentiment de rage qui l'envahit. Il doit la canaliser pour la rendre efficace. Pour se calmer, Adan observe un instant le moniteur auquel le cœur du garçon dicte les chiffres et les courbes. Tout semble normal. Il remonte l'édredon sur le petit corps et dépose affectueusement ses lèvres sur le front.

— Je reviens Bonhomme, murmure Adan. Je ne vais pas loin.

Il s'éloigne sans bruit, ses pieds nus chuintant sur le sol recouvert, comme partout dans cette grande salle, d'un tapis tressé de douces fibres végétales. La veille, ses cent pas l'ont fait visiter quasiment l'ensemble des lieux du rez-de-chaussée de la villa Gan. Outre la piscine, il s'y trouve la cuisine attenante à la salle à manger, ainsi qu'un bureau très bien équipé technologiquement parlant - c'est probablement là que Mark et Jessie ont passé les dernières heures – ainsi qu'un salon spacieux aux fauteuils de cuir très confortables, autant pour discuter que pour dormir, ou tenter de somnoler.

Et puis, il y a cette salle : grande, lumineuse, avec un pan de mur entier qui s'ouvre sur une petite serre où différents oiseaux chanteurs accueillent le lever du jour au fond de leur cage de bambou. Adan quitte l'autre extrémité, qui semble jouer le rôle d'infirmerie avec le lit d'examen, où repose Broot dans ses draps bleus, et tout l'équipement nécessaire à des traitements médicaux plus ou moins poussés. Attenante à cette salle de premiers soins, derrière des cloisons vitrées, un bureau avec classeurs et bibliothèque garnies de livres de référence. Adan a déjà parcouru les rayonnages : médecine sportive, traditionnelle et moderne, sports de combats et techniques des arts martiaux, anatomie et physiologie humaine. Bref, tout ce qu'il faut pour maintenir un corps en santé. Il envie un peu Mich d'avoir su garder cette forme que lui-même a malheureusement oublié dans le fond des bouteilles. À l'époque où il était plus actif...il y a six mois seulement... il se serait senti à l'aise en ces lieux. Mais aujourd'hui, il se sent étranger. Un imposteur.

Son malaise grandit lorsqu'il se dirige vers la pièce centrale de cette salle : un dojo. Avec ses mannequins et sacs de combats, ses fières gravures stylisées et inspirantes, ses armes minimalistes mais imposantes. Il observe un instant un idéogramme chinois qu'il reconnaît - un des seuls d'ailleurs : Dǎn dà ... audacieux. Ce surnom que Mich lui a décerné à leur première rencontre, alors qu'Adan s'était placé en situation plus que dangereuse, avec ses caméras en bandoulière comme seules armes, entre cette foule exultée de manifestants armés et l'escouade anti-émeute. Pourrait-il encore soutenir la pression de reportages dans les fins fonds de l'humanité ? Oserait-il affronter les dangers de situations à l'équilibre incertain ? Autrefois, il allait de l'avant, sans réfléchir, sans crainte. Il en revenait avec pour seul trophée une pellicule qu'il développait ensuite dans sa chambre noire, tel un magicien agitant sa baguette autour de ses bacs de révélateur et de fixateur. Ses clichés avaient cette magie que recherchaient tous les grands quotidiens. Lescaux était alors synonyme de vérité et de qualité. Cette renommée, on la lui a enlevée de force avant que lui-même ne se perdre dans des effluves d'alcool et de mixtures médicinales.

C-14 : L'Enfant sans ombreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant