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Je ne vois pas totalement que dalle. Je vois partiellement que dalle. J'avais six ans quand je m'en suis rendu compte. Je regardais le feu d'artifice de Trowtburg avec grand-mère, le jour de Noël. Idiot. Je ne voyais aucunes couleurs éblouissantes. Jusqu'à ce feu d'artifice vert. Plus idiot du tout. Je l'ai capté. Lumière. Appareil photo. Diaphragme. Danse de la joie, au milieu des pissenlits verts fanés que je voyais distinctement, sous les étoiles fluorescentes vertes du plafond de l'univers, entourées des lucioles vertes luisantes qui dansaient, j'étais, là, à faire des pirouettes dans mon froc vert.

Mais là, je ne fais pas de pirouettes. J'ai trop froid. Trop froid pour faire des arabesques au milieu de la route. Trop froid pour rester assit sur ce banc. Trop froid pour enlever mes moufles. Je sors le GPS du monospace des vieux et je lui demande ce qu'il y a autour de moi.

— Gare de Trowtburg. À cinq cent mètres, épicerie. Droit devant défilé des pom-pom girls à pompons. À deux cent mètre à gauche manège ambulant.

Je sélectionne cette direction. Manège ambulant. Le GPS commence à me guider. Je dois avoir l'air idiot de faire des pas d'un mètre pour me repérer.

Prudemment, je donne deux dollars au vendeur et avec son aide, je monte sur un poney en plastique du manège. À la recherche d'émotions fortes. Mais surtout pour réchauffer mes couilles. Je me mets à tourner en rond. Lentement. En supplice. Les enfants surexcités braillent. L'accordéon mal accordé me casse les oreilles. Dès que le manège stoppe, je m'agrippe à la rambarde de l'escalier et je m'asseye sur le trottoir. Mal au point. J'inspire de grandes bouffés d'air et les recrache. C'est seulement quand je me mets à respirer correctement que j'entends les halètements à côté de moi. Suivi d'un grognement typiquement masculin. L'ayant déjà entendu sur le manège, derrière moi, j'en déduis que je ne suis pas le seul crétin de mon âge à être monté sur un manège à poneys en plastique.

— L'indien du pow-wow et du rodéo malade comme un clébard après avoir enfourché un sanglier en plastique ? Sérieux. In-cro-ya-ble. Je crois que je vais vomir, dit une voix masculine à ma gauche.

Silence. Stalagmites. Est-ce qu'il y a des stalagmites à Trowtburg ? Grand-mère m'a dit que non quand je lui ai demandé au téléphone. Pourquoi est-ce qu'elle m'a mentit ? Je n'ai pas vu la stalagmite. Je ne l'ai pas touché. Pas encore. Mais je la sens claqué contre mes cuisses. Ça fait mal. Est-ce que les alpinistes ont aussi mal quand ils sont tout là haut, sur un pic égal à l'antarctique ? Est-ce qu'ils ont des protèges sur leurs testicules ? Des bonnets ? Accordéon. La musique débile recommence.

— Je ne comprends pas.

Je me rappelle la présence du garçon contre mon bras gauche, à travers ma chair de poule, mon manteau jaune.

— Je ne comprend pas pourquoi tu ne me tabasses pas, déclare l'indien du pow-wow et du rodéo après un court instant de réflexion.

Il se fout de moi. Comme Trent. Ensuite, il va me tabasser. Ruse. C'est une ruse. Connard. Gros gros connard.

— J'ai dégobillé sur tes pompes à frics, insiste l'indien du pow-wow. Tes chaussures de marque.

Ah. J'ai l'air con. Je ne l'ai pas vu vomir. Et je ne le sens pas non plus parce que j'ai le nez bouché par le gèle.

— Un mec normal me tabasserait. De un, parce que je suis un indien de la réserve et en dehors de la réserve, les indiens ne sont pas appréciés car ils sont noirs. De deux, parce que j'ai dégueuler sur tes pompes de marque. Et de trois, parce que je suis un indien de la réserve qui a dégueuler sur tes pompes de marque.

Un mec normal. Trent. Trent est normal. Norme pourrit toute merdique. Il n'y a pas de normalité. Si l'univers entier se considère normal en se basant sur Trent, tout le monde est un gros très gros connard. Je ne veux pas être un gros très très gros connard pourrit finit.

Jacques a dit fermez les yeuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant