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Maman a décidé que je devais aller chez le psy. Pour arrêter mon obsession avec mes résolutions. Pour arrêter de parler à Ferg. Je sais que je parle tout seul. Dans ma chambre, il n'y a personne d'autre. Alors oui je parle tout seul dans ma chambre. Mais je ne parle pas tout seul dans ma tête. Je ne suis pas le seul habitant de mon cerveau. Schizophrénie. Je perds la tête. J'en ai déjà perdu un morceau. Schizophrénie. Je perds la boule. Je vérifie. Non mes boules sont encore là mais elles ne marchent plus. Ça me rend tout triste de me dire que plus rien ne marche chez moi. Mon cerveau. Mes couilles. Mes yeux. Est-ce que mes poumons marchent encore ? Et si je retiens mon souffle suffisamment longtemps pour qu'ils explosent ? Schizophrénie. Je dois aller chez le psy pour ma schizophrénie. Idiot. Je dois aller chez le psy pour que je ne retente pas de me faire sauté la cervelle. Je l'ai rajouté moi, ça.

— Je dis une lettre au hasard, d'accord Jacques ? déclare la psy. Tu dois me dire le premier mot qui te passe par la tête pour te décrire. Tu peux dire des couleurs, des adverbes, des noms ou des adjectifs. Ce sera une façon pour que je fasse ta connaissance. M'apprendre comment est-ce que tu te vois psychologiquement. S, déclare-t-elle.

— Suicidaire, répliqué-je.

— T.

— Trent le connard. Non. Trouduc, je corrige.

— C.

— Couille d'alpiniste.

— A.

— Archéologue. Aveugle. Abrutit.

— F.

— Fille à pompons en mini jupes de Trowtburg. Non non. Ferg.

— V.

— Vieillard aux pigeons. Voldemort.

— I.

— Idiot. Idiot. Idiot, chantonné-je.

— M.

— Monospace des vieux. Maugrey Fol Œil.

— R.

— Revolver MR-83 du voleur masqué dans la boîte à chaussure.

— P.

— Je ne suis pas un père vert ! Je ne suis pas un putain de pervers ! Je ne suis pas un trouduc tout merdique tout pourrit de pervers putain ! merde j'ai dis putain merde mince oups. Jacques ferme là. Je ne suis pas un pervers bordel de merde merde merde zut.

Tu sais pourquoi tu t'es fixé une résolution de ne pas dire « merde » ?

— Parce que c'est un gros mot.

Non Jacques. C'est parce que tu ne veux pas admettre que t'es une merde.

— Ce n'est pas vrai !

Tu ne sais pas lacer tes baskets, ni conduire, ni marcher d'une autre façon qu'un quadragénaire avec son déambulateur, tu lis aussi mal qu'un enfant de CP, tu parle tout seul, tu voulais flinguer ton cerveau, tu ne sais pas écrire sans une craie verte ou un crayon vert, tu es une merde.

Il rit. J'ai mal à la tête. Je m'arrache les cheveux de ma prothèse capillaire qui coûte la peau du merde merde mince. Et tout à coups je me mets à chialer. Je ne suis même pas capable de me trouver une énergie positive parmi toutes les mauvaises. Loser. Je suis un loser. Je me dévalorise, tout le temps, je sais. Mais comment me valoriser ? Encore faut-il trouver un truc potentiellement valorisant. D'accord. Rien. Si on fait abstraction des champs négatif tout pourrit et que l'on se concentre sur les points positifs de mon image, je trouve rien. Rien. Rien. Je ne suis rien. Je ne sers à rien. Mon existence dans le néant ne se résume à rien. J'ai un ami imaginaire pour rien. J'ai voulu me faire sauter la cervelle avec le MR-83 pour rien. Rien. Rien. Rien. Rien.

Jacques a dit fermez les yeuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant