18

1.1K 197 55
                                    

       

— Effrayant, non ? me demande Graham alias le docteur Watson comme Red dans Chien Blanc de Romain Gary.

— Assez oui, répliqué-je à la perspective de lire la fin de la page.

Le cahier de Trent est posé sur mes genoux grands ouverts. Je baisse les yeux et lis à haute voix parce que Graham est en train de conduire le monospace des vieux.

...Quand je décris ce qu'il me fait comme avant-hier où il m'a plaqué contre le mur et m'a dit de jouir, d'arrêter de pleurer, de me taire, d'essayer d'apprécier et. Il m'en a fait voir de toutes les couleurs mais je vois déjà. Je n'ai pas besoin qu'il me montre les couleurs. Pas de cette manière abominable. Je ne suis pas aveugle comme Fol Œil putain-putain-putain-putain. Je ne suis pas une putain. Je ne suis pas un nazi. Je suis Trent Gerglinter. Mais est-ce que le fait qu'on fasse des trucs avec mon corps et que je vais tuer quelqu'un ; fait de moi une putain nazi ? Je ne veux pas que je sois considéré comme ça une fois que je me ferais sauté la cervelle. Parce que je viens de décidé que je me ferai sauté la cervelle après. Je n'ai jamais rien montré en dehors de la maison, mes hématomes –parce que je n'allais pas en sport- mes larmes ou mes explications. Il m'a menacé qu'il me ferait des choses pires. Je ne vois pas ce qu'il pourrait y avoir de pire à me faire, je suis déjà au fond du trou. Je ne dis pas de l'abîme parce que j'ai appris que l'abîme n'a pas de fond, comme a dit Emile Ajar. Pourtant quand j'avais treize ans, j'ai réciter « mon âme est triste jusqu'à la mort » d'Alphonse Lamartine devant toute la classe car on devait l'apprendre. Dès que j'ai eu terminé je me suis mis à chialer à n'en plus finir. Parce que tout le monde m'écoutait et je disais à travers certains vers d'Alphonse tout ce que je ressentais. « J'ai vécu, adieu. Oui je te connais trop, ô vie ! Et si tu m'apparais ! Tu vois, je meurs encore ! Touchant au terme obscur de mes courtes années. Il n'a ni sentiment, si murmure, ni pleurs. Et moi, je vis assez pour sentir que je meurs ! Je dis un jour de plus, un jour de moins. Et je sais que le jour est semblable à la veille. Et mon âme est déjà triste comme la mort ! ». J'avais fais exprès de changer « ils n'ont » en « il n'a ». Ce « tu » c'était lui, Arnold Gerglinter. Et j'avais envie que toute ces personnes pigent. Mais à la fin, ils ont juste applaudit, ils n'avaient rien compris. Ça m'a rendu fou. Tout comme avant-hier. Je suis sortit à deux heure du matin dehors, et j'ai fais comme Momo en voyant Madame Rosa à poil : Comme lui, j'ai couru  et, je me suis assis dans le noir. Je n'ai pas chialé parce que ça ne valait plus la peine. J'ai fermé les yeux et j'ai mis mon visage entre mes genoux tellement j'avais honte. Lui il avait honte de voir Madame Rosa nu. Moi j'avais honte de ce que je venais de faire nu. Pis j'ai eu cet éclair de génie d'Archimède. J'ai repensé à la phrase de Lamartine et je l'ai changé « je sais que le jour ne sera pas semblable à la veille ». J'ai décidé que j'allais le plus tôt possible c'est-à-dire cette après midi ou demain, faire subir à Fol Œil ce que mon père me fait. Je verrais ensuite si je ressens RIEN comme lui, ou ce je-ne-sais-quoi qui me permettrait de peut-être comprendre mon père, ce qui m'éviterait à devoir le tuer. Si je ressens du dégoût et de la culpabilité, j'irai flinguer le soir même Arnold Gerglinter après avoir prit le plus grand fusil de mon voisin le vieux Jess. 

— Qu'est-ce que tu voulais dire exactement par « l'épisode est partit en couille » ? Est-ce qu'il t'a. putain-putain-putain-putain-merde-merde. Dis moi qu'il n'a pas fais ça, qu'il n'a pas été méchant avec toi et qu'il ne t'a pas violé.

— Il n'a pas fais ça, il n'a pas été méchant avec moi et il ne m'a pas violé.

Je me sens tout triste et je me mets à pleurer. Graham se met à jurer comme un diable me répète que ça va aller ça va aller mais on sait tous les deux que ça ne va pas du tout. Parce que comme le dit M. Hamil dans La vie devant soi la vie c'est pas ça du tout.

Jacques a dit fermez les yeuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant