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Savez vous que Romain Gary, ce russe Juif puis polonais puis français, s'est donné la mort en se glissant un revolver de calibre 38 dans la bouche ? Il l'a fait parce qu'il n'a pas réussit à mourir sur le ciment ; parce qu'il avait peur d'attraper une maladie. Je n'ai pas réussis à mourir sur le parquet-ciment de ma chambre mais je ne me suis pas pour autant donné la mort en me tirant une balle de revolver. Je l'envie. Parce qu'il a mit le revolver dans la bouche. Je ne pouvais pas c'était trop froid. Je l'envie parce qu'il n'avait pas un revolver pas nazi. Le sien était un P-38 nazi. Mon revolver n'a jamais tué personne. C'est un gentil revolver. Je ne peux pas me tuer avec un gentil revolver. Un bon. Je l'envie parce qu'il a réussit à se tuer.

Je ne comprends pas pourquoi Graham est là. Pourquoi ?

— Pourquoi est-ce que tu es là ?

— Parce que je viens de monter quatre à quatre les marches pour empêcher un crétin de sauter. Qu'est-ce qui t'a prit ? Tu croyais résoudre beaucoup de chose en sautant ? C'est le comportement d'un lâche, que je vois. Tu es complètement fou. Pourquoi voulais-tu te suicider ?

— Je ne voulais pas me suicider.

— Jacques. J'ai vu le revolver. J'ai vu le flingue sur ta tête et tu étais prêt à sauter.

— Je ne voulais pas me suicider ! je répète énervé. Je voulais tuer Ferg.

— Ton ami imaginaire ? dit-il avec ironie.

    J'aimerai lui répondre que oui, c'est la faute à Ferg, mon ami imaginaire. Mais ce n'est pas aussi simple. Je ne sais même pas si je suis comme ces gosses de sept ans à s'inventer un copain qui le suit partout même aux toilettes parce que Ferg n'était pas là quand je me caillais les couilles sur la banquise de Trowtburg. Je ne sais pas s'il est imaginaire. Je sais juste qu'il est dans ma tête. Les autres ne le voient pas. Moi non plus. De toute façon je suis aveugle. Mais est-ce qu'il est vraiment là dedans ?

— Ton ami imaginaire est dans ta tête, complète Graham. Ainsi tu voulais le tuer ? Comment ? Tu voulais te faire sauter la cervelle ?

— Je ne peux pas. Je n'ai pas toute ma cervelle. Juste un bout.

— Inutile. C'est dégueu, Jacques. Sais-tu qu'il y a d'autres moyens de le faire partir ? Dis lui d'aller se faire foutre. Mais ne va pas te trouer la tête ! Ni sauté sans parachutes ! Avec un chronomètre ! Pourquoi as-tu un chronomètre ? Tu voulais compter le temps prit pour atteindre le goudron, en bas ?

Je secoue la tête.

— Jacques a dit que tout ce qui posait problème devait être résolu dans un lapse de temps impartit à partir du moment où on branche le chronomètre. Un chronomètre c'est comme l'oscilloscope du docteur Bulle absolument merdique et pourrit. Quand on meurt, la courbe devient droite. À jamais. Le chronomètre, en tombant va casser et le nombre va rester afficher. Pour toujours. Et je serais mort, affirmé-je. Plus de problème. Le problème aura disparut. J'aurai disparut.

— Qui a dit ça ? s'énerve Graham. Qui a dit ça ? Jacques ? Qui est Jacques ? C'est toi qui as dit ça ?

— Jacques c'est le monde entier, papa, maman, le docteur Bulle, grand-mère ; mais c'est aussi l'univers, tout les gens sur cette Terre. Sept milliards d'être humains. On peut tous être Jacques. Tu ne connais pas ce jeu ? On se plonge dans la peau de Jacques et on dit quelque chose que les autres doivent reproduire. Mais cette fois ce n'était pas un jeu. C'est moi. Jacques. Ce Jacques a dit.

— Jacques. Ecoute. Tu n'es pas un problème. Tu n'as pas de problèmes.

Je pleure. Je sens les larmes sur mes joues. Mais je garde les yeux fermés. Je ne veux pas qui les voient. Surtout maintenant. Un aveugle qui pleure... Trent par l'intermédiaire de Jacques a dit, m'a assurer que je ressemblais encore plus à Fol Œil quand je chialais.

— Je suis un problème ! Le monde entier le sait !

— Viens. Prend ma main.

Je me rends compte que je suis toujours de l'autre côté de la rambarde quand je lève le bras. Graham m'a juste soulevé pour me pousser sur le côté. Il doit se souvenir que réussir à dénicher sa main me prendrait trop de temps parce que soudain, je sens quelque chose se refermé sur ma paume. Crabe. Non. La main de Graham. Brusquement, elle m'apaise. Sa main est si chaude. Si douce. C'est la première fois que je tiens la main de quelqu'un de l'univers. Au bien sûr, j'ai déjà tenu la main au monde entier, papa, maman, le docteur Bulle, grand-mère, mais ils avaient tous des mains toute fripés et pas douces. Je n'ai jamais prit la main de quelqu'un d'autre en dehors du monde. Et encore moins celle de quelqu'un de mon âge. Un garçon. Je tiens la main d'un garçon. Je suis bien. Graham m'aide à enjamber la rambarde en glissant son autre main dans mon dos. Une fois de l'autre côté, il garde mes doigts noués aux siens. Sans les défaire.

— Viens avec moi. Je te guide. On va redescendre par l'ascenseur.

Le garçon me lâche la main quand mes pieds martèlent la nacelle.

— Où est le chronomètre ? je demande au milieu de la descente. Je dois le rendre à monsieur Shlurp. Il va s'énerver si je ne lui rends pas. Le chronomètre. Je ne suis pas un footballeur. Je rends les chronomètres.

— Arrête de te mettre dans cet état, Jacques. Ce n'est qu'un chronomètre. Il a glissé de ta main quand je t'ai poussé. Tu devrais plutôt te soucier de ton GPS. Tu l'avais oublié dans le monospace. Le patron l'a vu avant-hier quand il a chevauché ma mère sur la banquette arrière. Et moi, je l'ai vu chevaucher ma mère. J'ai cru que j'allais. Laisse tomber. Je n'allais pas me battre avec un type mille fois plus costaud que moi. Mais je ne l'ai pas fermé. Je me suis mit à lui hurler dessus. Et lui, il m'a viré de la réserve pour que je la boucle. À cause du GPS et du tutu à frange laisser dessus. Je suis définitivement viré. J'ai erré dans Trowtburg et j'ai allumé le GPS. J'ai prit le monospace et je t'ai vu avec ce flingue. Je voulais te rendre ce GPS. Tu es la seule personne que je connaisse en dehors de la réserve. Le seul qui veut bien me parler. Ceux de la réserve, c'est rayé. Et ceux à Trowtburg sont obnubilés par les pom-pom girls en mini jupes à pompon. Ils sont racistent. Je t'ai empêché de te faire sauter le bout de cervelle. Tu as une dette envers moi. Est-ce que tu peux m'héberger chez toi ?

— Tu veux être mon ami ?

— Tu as quel âge, Jacques ? Sérieux ? Grandit un peu ! On est plus des gosses ! Arrête de te comporter comme un gosse ! Tu es un homme ! Tu as chevauché un putain de gros cochon de sanglier marron ! s'exclame Graham d'une voix glacial. Merde. J'avais oublié.

— Que je suis idiot ? Ce n'est pas grave. Le monde entier sera sûrement ravi d'apprendre que j'ai un ami. Pas imaginaire. En chair et en os.

Je demande au GPS de m'indiquer le chemin de chez moi. Mais Graham me dit de la fermer et le GPS ne répond pas à mon appel. L'indien a dû appuyer sur le bouton off. À la place Graham me prend de nouveau la main et me dit qu'il va m'emmener chez moi. Il se souvient où j'habite. En l'espace d'une semaine. C'est dingue. Moi, en l'espace de dix sept ans, je ne sais toujours pas retrouver ma maison au milieu de tout ce gouffre noir de pâté de rue.

Ça me rend triste. Idiot. Même pas capable de retrouver ma méchante maison avec le méchant tiroir à chaussettes avec les méchantes chaussettes divorcés. Débile mental. Mongole. Mais d'un coup, je ne suis plus triste. Je suis un bon alpiniste. Je suis un bon archéologue. Je suis un bon garçon pas en bois de dix sept ans. Alzheimer. J'ai oublié et je m'en souviens. Plus alzeihmer. Je souris à l'endroit au fond de moi. Parce que je me souviens subitement que dans mon caleçon j'ai eu le temps de glisser le revolver pas nazi. Graham n'a pas vu. Trop occuper à conduire le monospace des vieux et me tenir la main. Et ma main gauche qui tient la main d'un autre garçon. C'est chouette. Et ma droite qui dit bonjour au revolver à travers mon froc et mon caleçon. C'est chouette. Ce n'est pas pervers. Je secoue la tête avec conviction comme un dingue. C'est chouette tout ça.

Jacques a dit fermez les yeuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant