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Romain Gary, un russe Juif, puis polonais, puis français a dit un jour « je me suis couché par terre, j'ai fermé les yeux et j'ai fais des exercices pour mourir mais le ciment était froid et j'avais peur d'attraper une maladie ». Alors je fais comme lui. Mais pas sur du ciment. Je m'allonge sur le parquet vert de ma chambre à la tapisserie à trèfle vert à quatre feuilles vertes. Mais le parquet aussi c'est froid. Ma joue, tout contre le sol est gelée. Je ne ferme pas les yeux parce que je les aie déjà fermé. Je me mets à faire des pompes mais je m'étale sur le parquet-ciment au bout de la deuxième. Mon ventre fait un plat et je lâche un sanglot. J'ai peur de vomir mes flocons d'avoines aux chocolats. J'ai peur d'attraper une maladie. Je suis déjà dépressif. Je suis suicidaire. Maman passe tout le temps l'aspirateur dans la chambre. Je ne vais pas attraper le rhume. Mais c'est froid. Sur mes joues. Sur mon front. Sur mon ventre. À travers mon caleçon, sur mes testicules. Sur mon pied droit et à travers ma chaussette avec les rayures vert clair et vert foncé sur mon pied gauche.

Je ne sais pas à quel moment je me mets à pleurer. Est-ce que je sais pourquoi ? Est-ce que c'est parce que mon frère est mort ? Est-ce que c'est parce que je suis aveugle ? Est-ce que c'est parce que je suis idiot ? Est-ce que c'est parce que Trent me frappe et m'attache à la balançoire pour me déshabiller ? Est-ce que c'est parce que Graham est parti ? Est-ce que c'est parce que j'entends papa pousser des jurons parce qu'il n'arrive pas à réparer le chauffe eau électrique ? Est-ce que c'est parce que j'ai cassé le vase de maman ? Est-ce que c'est parce que maman est partit acheter un autre vase ?

Maman n'a pas voulu me répondre à propos du vase. Pourquoi elle tenait un vase. Elle s'est énervée à la place parce que j'étais allongé sur le parquet. Quand elle m'a demandé pourquoi j'ai répondu que Ferg occupait mon lit. Mauvaise réponse, Jacques. Très mauvaise. Très idiot. Elle m'a supplié d'arrêter avec cet ami imaginaire. Elle ne veut plus en entendre parler. Moi non plus je ne veux plus l'entendre. Je mets mes mains sur mes oreilles.

Tu ne peux pas m'ignorer idiot. Je suis une partie intégrante de toi.

— Laisse-moi tranquille.

Non. Non. Non. Tu m'as piqué le cerveau.

— Laisse-moi. Laisse-moi. Laisse-moi.

Je me mets à me balancer sur mes fesses, les genoux pliés contre mon torse.

Arrête de penser à Graham. Il est comme les autres.

— Non. Il était gentil avec moi. C'est le seul garçon qui ne me frappe pas et ne se moque pas. C'était mon ami.

Il est partit. Sérieusement, Jacques, tu croyais avoir un ami ? Toi ? Idiot.

— Ta gueule.

Tu seras toujours seul

— Tu es là.

Tu aimes bien ?

— Non. Non. Non. Fiche le camp.

Je ne peux pas, Jacques. Je suis dans ta cervelle.

Les larmes roulent et dégringolent en cascades torrentielles sur mes joues.

— A cause de toi je suis seul ! Pourquoi est-ce que t'es accroché à ma tête ? Je suis aveugle et idiot ! Sans compter que tout le monde pense que j'ai perdu la tête à avoir encore à dix sept ans un ami imaginaire. Ils ont peur de moi, au lycée. Ils m'appellent Gollum. Laisse-moi tranquille.

Tu m'as tué, trouduc.

— Pardon.

Tu n'es même pas désolé. Tu es tellement égocentrique à te préoccuper que de toi. Tu es le centre du monde, papa, maman, le docteur bulle, papa et papa, très répétitif. Tu es tellement égocentrique, Jacques. C'est fou comme tu ne penses qu'à toi. Tu m'as tué. Tu m'as volé mon cerveau. Pourquoi ? Pour que tu deviennes égocentrique.

— Tu sais, j'aurai préféré que ce soit toi qui garde le cerveau presque entier mais surtout ton corps. Je suis égocentrique ? Idiot, oui. Très idiot. Stalagmites. Stalagmites. Stalactites. Je suis égoïste ? Nouvelle résolution. Ne plus l'être. Trop trop dure. Je n'en peux plus. Je ne supporte pas être aveugle, être idiot, être comparé à Fol Œil ou Gollum et à un fou qui a perdu la tête.

Egocentrique. Tu souhaites mourir. Moi, je ne voulais pas mourir. Tu m'as tué. Je vais te tuer.

— Tu es un méchant ami imaginaire. Pas vraiment imaginaire, en fait. Je suis trop grand pour avoir un ami imaginaire. Laisse-moi tranquille.

Tu sais comment te débarrasser de moi. Et au passage tu te débarrasseras de tous ces autres connards. Pas de gros mots. Dans ton lycée, tous les autres. Ensuite tu te sentiras si bien. Tu ne sentiras rien du tout.

Je plaque mes mains sur les oreilles et secoue la tête.

Le revolver.

— Jacques ? JACQUES ? Tu te sens bien ? s'écrit mon père tout près de moi. Tu es allongé sur la moquette, tu parles tout seul, tu as pleuré et tu viens de crier.

Je me suis cogné la tête aussi. Je crois. Quand j'ai crié. Foutu stalagmite.

— Il y avait une stalagmite au plafond. Il s'est enfoncé dans mon crâne.

— Jacques. Tu es sûr que ça va ?

— Euh. Oui. Je crois. Je n'en suis pas sûr. Je crois, oui.

Idiot. Bon. Il me laisse tout seul. Enfin, avec Ferg. Je n'ai pas envie de rester tout seul avec lui. Je l'appelle mais il ne me répond pas. Il va revenir. Non non. Si seulement il pouvait me laisser tranquille. Il le fait, la plupart du temp. Quand je suis seul. Je suis presque tout le temps seul. Stalagmite.

Ne plus penser au révolver.

Ne plus pense au revolver pas nazi.

Ne plus penser au revolver pas nazi MR-83.

Ne plus penser au revolver pas nazi MR-83 à six coups de la boîte à chaussure du grenier.

Jacques a dit fermez les yeuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant