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Je suis assis au dessus du vide. Je balance mes jambes dans les airs. Astronaute en orbite avec ses jambes dans l'espace au dessus de nos têtes. Moi, petit sur la balançoire qui lève mes jambes toujours plus haut pour surplomber ce monde débile. Les ouvriers de l'Empire State building avec leur casse croûte, assis sur une poutre, leurs jambes à mille deux cent cinquante pied au dessus des taxis. Les jambes d'un adolescent suspendu au dessus de l'univers entier dans un avion qui l'emmène quelque part mais je ne sais pas où. Mon pantalon vert. Mes jambes. Mes chaussures. Mon cerveau. Le vide. Je ne suis pas un astronaute, un enfant de dix ans, un ouvrier ou un garçon qui prend l'avion. Pourtant je remue mes jambes. Je ne suis pas bien haute. Solitude hivernale. Je déglutis. Idiot.

Jacques a dit saute ! Tu te souviens de ce que Graham t'a dit ? Le goudron est à un pot de Nutella du sol. UN POT DE NUTELLA. Trouillard. Mauviette .Chochote.

Résolution : ne pas pleurer. Je secoue la tête. Non non. Je ne veux pas être un trouillard. J'ai dix sept ans. Je suis fort.

— Jacques ? Tu veux bien te dépêcher de sortir du monospace ? insiste maman agacée.

J'hoche la tête de haut en bas un peu trop longtemps parce que j'entends des ricanements à ma gauche. Je baisse la tête et sers fort la ceinture. J'ai peur. Peur de sauter. Idiot.

Tu as le vertige Jacques ! Un aveugle qui a le vertige ! C'est complètement dingue ! Fol Œil en chaussette rayé verte clair et vert foncé a la tremblote de se laisser tomber, lui qui a combattus plein de mange mort.

— Je ne suis pas Fol Œil. J'ai combattus aucun mange mort. Je n'ai tué personne.

Pas encore, Jacques. Pas encore.

Je plaques mes deux mains sur mes oreilles et me frappe la tête contre le repose-tête.

— Jacques ? Ça suffit. Descend maintenant. Ou je te ramène à la maison.

Oh non. À la maison, il y a Ferg sur mon matelas. Il préfère rester dans ma chambre. Il est là en ce moment. Dans ma tête. Dans le monospace. Mais il ne m'embête pas trop au lycée. Il sait déjà que Trent s'en charge. Le lycée et Trent. Ma chambre et Ferg. Arght. Ça me rend fou.

Je serai bien, là, au lycée. Oui. Peut-être. Je fais une pirouette sur moi-même, toujours assis, et je pose mes avant bras sur le siège. Puis, en traction, je me laisse tomber. Exercice pour mourir. Ciment froid.

Est-ce que papa a recollé le vase de maman avec le pistolet à colle chaude ? Est-ce que mes pieds sont toujours à un pot de Nutella du ciment ? Est-ce que je vais un jour arrêter de flippé que le sol soit à dix mille pieds des miens ?

Dans le lycée, je cherche les casiers VERT. Ce sont mes repères. La peinture date du temps de la guerre. Je ne les vois nulle part. Pourquoi pourquoi pourquoi ? Ça me rend dingue. Je m'arrache les cheveux. Je n'ai pas mon GPS. Je ne sais pas où il est. Je ne sais pas où aller. Je suis PERDU au milieu de cet univers entier débile. Je m'avance prudemment et je reçois quelque chose de pas agréable du tout contre mon front. Les larmes me montent aux yeux. La texture. Dure. Froid. Ciment. Métal. Les casiers ! Je me suis prit la porte d'un casier en pleine figure ! Est-ce que le lycée a repeint les casiers en rouge ? En jaune ? En bleu ? Avec mon sang, ils seront rouges maintenant.

— Pardon. Ça va ta tête ? Tu ne vas pas la perdre de nouveau ?

Trent. Et les autres garçons. Ils se marrent. Je ne vois pas ce qu'il y a de drôle. Ce qu'ils disent est faux. Je n'ai jamais perdu ma tête. Ni Ferg. Tout ce que j'ai perdu c'est une partit de mon cerveau. Sauf qu'ils sont persuadés que j'ai perdu la tête à parler tout seul.

Jacques a dit fermez les yeuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant