Journal d'une âme perdue » Larry

Détruit

      - Tu t'ennuis ?

Une voix me sort de ma rêverie, ou plutôt de mon ennui, oui. Sa voix, à Louis. Ce sont les premiers mots qu'il m'adresse depuis le début de la journée. Cela fait maintenant deux heures qu'on tourne dans un parc à observer différente sculpture et autres trucs qui ne m'intéresse pas le moindre du monde. La plupart sont d'une mocheté en plus de ça.

Le professeur nous avait fourni une feuille pour chacune des œuvres et on devait dire ce que l'on en pensait, ce que ça nous inspirait et répondre à quelque question posée. J'ai laissé tout le travail à Louis mais il avait l'air heureux que ça soit le cas. Monsieur-Jamais-Content m'avait d'abord tendu le calepin de feuille mais en voyant que je ne le prendrais pas, Louis s'est jeté dessus comme si c'était ce qu'il attendait le plus. Il a vraiment l'air d'être heureux ici. Dans cette immensité d'œuvres sans sens.

      - C'est ennuyant, je souffle sans le regarder.

C'est qu'une fois après avoir dit ces mots que je me rends compte que ça l'a potentiellement mit mal à l'aise. Ça l'a peut-être énervé même. Je suis tellement stupide. J'ai critiqué la seule chose qui semble le faire sourire. Quel idiot je suis. Je lève la tête et il me regarde à son tour, comme s'il ne comprenait pas ce que je venais de dire. Il n'est pas fâché ou déçu, il est juste dans l'incompréhension et c'est encore plus gênant. Je me sens mal à l'aise, je n'ai vraiment pas envie de lui répéter que je n'aime pas ce genre de chose.

      - Ca ne l'est pas, répond-t-il naturellement.

Bien sûr que ça ne l'est pas pour toi puisque tu aimes ça.

      - Tu n'es pas obligé de faire ça, je dis doucement.

      - Pardon ?

      - La conversation, tu n'es pas obligé de faire ça.

Et une nouvelle fois je me suis senti idiot, parce qu'il a baissé la tête. Il a baissé la tête, déçu. J'ai encore déçu quelqu'un, à croire que c'est ma spécialité. Il devait passer une journée agréable dans ce jardin qui représente son univers et j'avais gâché son enthousiasme. Je me suis mis à croire que peut-être avait-il vraiment envie de parler. Pas forcément à moi mais juste parler. J'aurais voulu que Violette soit là pour m'engueuler d'avoir été un imbécile pareil avec un garçon si fragile.

On s'est arrêté devant une œuvre assez bizarre. Ce sont des espèces de bonhommes en métal recroquevillés sur eux-mêmes, s'accrochant à un arbre. Leurs yeux fixent l'arbre qu'ils tiennent fermement et éternellement. Il n'y en a pas qu'un, ils sont plusieurs et à la longue c'est assez étrange de les regarder. Je détourne enfin mon regard de cet œuvre et le pose sur Louis. Il écrit, il n'arrête pas d'écrire et il reste un bon bout de temps devant ce champs de bonhomme.

Pour la première fois depuis le début de la journée je me suis demandé ce qu'il avait écrit, ce que ça lui inspirait. Je ne comprenais rien de tout ça moi et si ça ne tenait qu'à moi je pense que j'aurais juste marqué que cela représentait un enfant venant de se faire gronder qui était désormais au coin à regarder un arbre en attendant que sa punition soit levé. De toute évidence ce n'était pas ça.

      - Je peux ? Je demande en indiquant le calepin.

Il me le tend après avoir sauté certaines lignes qui concernaient les questions, je tombe enfin sur l'encadré où il a noté ce qu'il en pensait. « On pourrait dire que les personnages sont dans une position de réflexion seulement la façon dont ils s'accrochent ainsi à l'arbre laisse penser qu'il s'agit plutôt d'un sentiment de tristesse. L'arbre est la chose la plus importante de leur vie et leurs bras l'entourent, signe qu'ils n'ont pas la moindre attention de le lâcher. Leurs regards sont posés sur le tronc comme s'il n'y avait que ceci qui comptait. » Je me stoppe dans la lecture et pense à Violette. Mon estomac se tord mais je continue ma lecture. « On peut donc penser que ce sont des écologistes peinés de voir les dégâts de l'Homme sur la végétation qui l'importante tant. » De toute évidence, je ne pensais pas à la végétation et l'importance que peut porter un homme à un arbre sans histoire et inconsciemment, j'en voulais à Louis d'avoir écrit ceci.