C H A P I T R E Trente-et-Un

356 41 3
                                    

-----
La Fuite
-----

William fixa patiemment la lune à travers les barreaux de sa prison. Sa cage étant enfoncée dans le sol, seul un petit encadrement en hauteur lui permettait parfois d'apercevoir le monde de dehors, même si des odeurs purulentes lui parvenaient lorsque la place du marché était occupée par tous ces vulgaires vendeurs de poissons.

Ce bout de ciel, malgré ses inconvénients, était son unique échappatoire et pour rien au monde il ne l'aurait obstrué. Un rictus malfaisant se dessina sur son visage. Il se tourna vers l'obscurité, dédaignant la lumière lunaire pour s'approcher à pas de velours de la porte en fer.

Il se racla la gorge puis tenta d'apercevoir l'extérieur à travers la petite lucarne opaque.

« Il y a quelqu'un ? »

L'écho de sa voix se répercutant contre les parois fut son unique réponse. Le garde qui patrouillait était sans doute trop loin pour l'avoir entendu mais il n'allait pas tarder à arriver. Un ricanement victorieux s'échappa alors de sa bouche. Trop facile. Après avoir endormi la méfiance de la Reine en lui faisant croire qu'il était pris au piège, il allait enfin pouvoir partir à la recherche d'Elsa...

Une sombre lueur brilla dans ses yeux d'argile brûlant. Une lueur de détermination.

***

Anna se réveilla en sursaut, affolée. Elle épongea d'un revers de main la sueur qui perlait sur son front et tenta de calmer sa respiration saccadée. En vain. Elle jeta un regard effrayé à la grande fenêtre qui laissait les rayons de la lune éclairer le grand lit où elle dormait en compagnie de son mari. Le paysage d'Arendelle était calme, au repos lui aussi. Pourtant, elle sentit son cœur accélérer la cadence.

« Kristoff ! Kristoff ! » L'appela-t-elle en le prenant par les épaules pour le secouer comme un prunier.

Il émit un grognement et s'enfonça sous les couvertures, poussant un ronflement réprobateur. Elle oubliait toujours qu'il avait un sommeil de plomb ; rien ne pourrait le réveiller. Vaincue, elle pesta contre lui en quittant la chaleur de sa couche pour s'habiller d'une vitesse indécente. Elle disciplina rapidement ses cheveux en les nouant puis enfouit ses pieds dans des chaussures de cuir confortables. Se cognant de nombreuses fois aux objets qui jonchaient la pièce, elle produisit de petits "aïe" discrets.

Enfin, quand elle fut prête, elle sortit de sa chambre en trombe, un mauvais pressentiment la taraudant. Elle parcourut les couloirs vides comme si elle était poursuivie par sa propre ombre qui courait allègrement sur les murs, et arriva enfin à un escalier plongé dans une totale nébulosité. Son pouls s'accéléra tout comme son souffle quand elle décida enfin d'y pénétrer, la gorge nouée par la peur et l'appréhension.

Sa main suivit la courbe des parois lors de sa descente, l'autre occupée à tenir la lampe de cire chaude entre ses doigts fébriles. Le pressentiment s'accentua quand elle arriva à la fin de son parcours ; il régnait dans les boyaux des prisons du château d'Arendelle un silence semblable à celui que la mort laissait dans les corps de ses victimes.

Frigorifiée, Anna s'avança d'un pas incertain vers la geôle de William, glissant une main entre le tissu de sa robe, là où elle avait habilement dissimulé un petit couteau tranchant impossible à déceler de l'extérieur. Qui savait ce qu'elle aurait à affronter ? Elle espérait que ce n'était qu'un instant fugace de paranoïa et que rien de grave ne s'était produit - ou ne se produirait.

Et pourtant. Un cri d'effroi quitta sa gorge et sa prise faiblit sur la bougie qui chuta sur le sol dans un bruit de ferraille insupportable. Le son se répercuta sur les murs suintant d'humidité tout comme la lumière créa au fur et à mesure une armée d'ombres encerclant la Reine, se reflétant dans la mare d'un liquide carmin et sirupeux tapissant la pierre froide. La lampe finit sa course effrénée contre la porte béante de la cage du Roi d'Enedia, là où reposait le corps inerte d'un garde portant les emblèmes du royaume.

Anna, les mains plaquées contre sa bouche entrouverte par l'horreur, comprit immédiatement. Il s'était enfui. Il ne reculerait devant rien pour cela. Même pas... Tuer.

Elle recula, l'expression de son faciès figée par le dégout et la colère. Personne ne s'en prendrait à un membre de ce Palais sans en subir les conséquences, personne ne s'échapperait sans subir son courroux ! Un léger vent caressa son visage ; la fenêtre de la cellule était brisée, son carreau avait servi à planter l'abdomen du garde.

« Il est certainement blessé après avoir rompu du verre avec ses propres mains » songea alors Anna en relevant ses jupons. « Il n'ira pas bien loin ! »

Au loin, un hennissement provenant de la cours retentit. Anna fronça les sourcils -il volait un de ses chevaux !-, inspira profondément pour écarter la nausée qui tiraillait ses entrailles d'un dégoût pur et rebroussa chemin sans se soucier de l'obscurité.

« Un prisonnier s'évade ! » Hurla-t-elle à travers les couloirs qu'elle traversa, réveillant une bonne partie des habitants du bâtiment. « Garde ! Dépêchez-vous ! »

Elle continua sa course jusqu'à atteindre l'extérieur, s'arrêtant net en apercevant le Roi sur son destrier la contempler de haut, trop loin pour qu'elle ne puisse l'atteindre sans qu'il n'ait le temps de la fuir. Elle devait gagner du temps jusqu'à ce que ses propres cavaliers et limiers accourent.

« C'est donc ce que vous êtes, William ! Un lâche ! Cracha-t-elle d'une voix tremblante, postée sur le perron de sa demeure.
Il émit un ricanement moqueur qu'elle ne perçut que faiblement, faute à la distance. Grâce à l'éclat de la lune, elle distingua les rênes engluées de son sang qu'il tenait fermement pour dompter la bête. Il ne semblait même pas souffrir.
- Très chère, si je suis un lâche alors vous l'êtes tout autant pour m'avoir enfermé. Rétorqua-t-il.
- oh, pitié ! Vous savez très bien pourquoi je l'ai fait ! Où est ma sœur, traître ?
- Elsa ? C'est justement ce que je cherche à savoir. Je la retrouverais, ne vous inquiétez pas pour cela. La véritable question que vous devriez vous poser, Anna, c'est : vous, la retrouverez-vous un jour ? Rien n'est moins sûr... Votre sœur vous est probablement perdu à jamais. »

Glacée par la terreur de ces paroles et la peur de ne jamais revoir Elsa, Anna secoua farouchement de la tête.

« Non... Vous mentez ! S'écria-t-elle en descendant une marche.
- Faites votre deuil, Anna d'Arendelle. J'ai déjà fait le mien. »

Un aboiement résonna dans le dos de la jeune femme. Il lui lança un dernier regard et tourna la bride, lançant sa monture au galop. Impuissante, Anna se laissa glisser sur le sol et s'appuya contre l'escalier, fixant le point qu'il deviendrait bientôt. C'était un meurtrier. Voilà ce qu'il avait voulu lui faire comprendre : si jamais sa route croisait celle d'Elsa... Il lui retirerait la vie. Elle frictionna ses bras à cette affreuse pensée. Elle n'abandonnerait pas sa sœur à son sort, même coincée sur le trône d'Arendelle !

Un petit bataillon de garde essoufflée, les traits tirés d'avoir été réveillée de manière si brutale accourut d'un pas régulier dans sa direction.

« Votre Majesté ! S'exclama leur "chef" en s'approchant, la saluant respectueusement.
- Vous êtes enfin là. Constata-t-elle. Bien.
- Que faisons-nous, votre Majesté ?
- Que faites-vous ? (Elle lâcha un rire sec et froid qui ne lui correspondait pourtant pas - depuis quand était-elle devenue cette personne à l'opposée de celle qu'elle était autrefois ?) Poursuivez-le. Sans relâche. Jour et nuit. Lancez les chiens, je veux que vous l'épuisiez jusqu'à l'acculer au bord du précipice de sa mort. Il ne doit pas atteindre Enedia, pas vivant du moins ! Voilà ce que vous ferez. »

Et tandis que la troupe la saluait, acceptant ses ordres comme il se devait et passant sous ses yeux dans un fatras ordonnée, elle se rendit compte que soudainement, elle se sentait bien lasse. Son dos se voûta, portant sur ses épaules un fardeau trop lourd pour elles.

La couronne.

Dangereuse (Jelsa)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant