Nion (EN PAUSE)

•1•

Je me balade dans les rues. Encore. Le soleil se couche tard en Espagne. Comme tous les soirs, en rentrant "chez moi" avec ma guitare, je me remémore le fil de ma vie. Je pense à ma mère. Il faut que je la retrouve, je ne peux pas mourir sans connaître la vérité. Elle m'a donné la vie, m'a abandonné, m'a sauvé puis m'a abandonné a nouveau. Comme si j'étais une honte. Une erreur, mais qu'elle ne voulait pas voir mourir pour autant. Ashton tient un bar au bout de la ruelle, je n'ai qu'à tourner là. Je m'engouffre dans l'allée colorée et longe presque les murs tellement elle est étroite. Je passe par la porte de derrière, le bouclé a l'habitude de toute façon. Je ne sais pas pourquoi il m'aide. Peut être parce que je lui fais de la peine, ou que je ne parle pas un mot d'espagnol. Lui est australien, comme moi. Je ne lui ai jamais parlé de mon passé. Pas que ce soit difficile pour moi d'en parler, je ne pleure presque jamais d'ailleurs, juste que je pense que certains détails de ma vie doivent rester à moi, et personne à part moi n'a besoin de les connaître.
Quand j'arrive enfin au bar, j'avais posé ma guitare en cuisine. Ashton essuyait les verres, comme le veut le bon gros cliché des barmans, et derrière nous, cinq gros espagnols riaient et parlaient très fort en tapant leurs mains sur la table à chaque fois qu'ils prenaient la parole.
-Alors, ta journée? me demanda le blond en posant un énième verre propre devant moi.
-Bof, 20 balles.
-Ah.
Il me servit un verre d'eau que je bus. On se taisait. Tous les soirs, je lui faisait comprendre que la journée n'avait jamais été aussi ravissante que je l'aurais voulu, et je le voyais mal. Ashton voulait m'aider, mais moi je ne voulais pas, alors a chaque fois, il se taisait, au lieu de me sortir les habituels: "Ca ira mieux demain!" ou encore "T'inquiète pas, on va te trouver un job." C'était stupide et faux. Alors à chaque fois, comme un rituel, je le sortais de son malaise en lui demandant à mon tour:
-Et toi, ta journée? Des nouvelles de Calum?
Et là, c'était parti. Calum était le petit ami d'Ashton. Un néo-zélandais venu en France pour les études. Il avait 20 ans, un an de moins qu'Asthon, et ils s'étaient rencontrés l'année passée, alors que je n'étais pas encore arrivé, quand Calum était en vacances a Séville. Coup de foudre. Puis il était reparti, et depuis, il essayait de revenir de temps en temps, mais c'était pas toujours évident. Je l'avais déjà vu, il était plutôt mignon, typé asiatique et avait des cheveux noirs. Enfin, et c'est ce que me rappelais bien Ashton tous les soirs, il avait des joues de bébé, molles et affreusement tentantes. En bref, ce couple était la preuve vivante que le coup de foudre existe, et que les relations a distance marchent, a condition d'avoir la main musclée.
-T'es un pervers Michael. fit Ashton, mais vu son sourire, j'avais bien raison.
-Peut-être. Et sinon, vous vous voyez quand?
-Bientôt, je viens de te le dire!
-Ah ouais pardon.
-Je vais partir Mike.
-Hein?
-Je vais partir de Séville.
Je fronçai les sourcils. Quoi, quand, où, pourquoi? Et qu'allait devenir le bar? Et Calum? Et moi? Je détestais vivre au dépend de quelqu'un, mais j'avais réellement besoin de lui, je pouvais pas dormir dans la rue! J'avais déjà testé, et j'en frissonnais encore. Le bouclé répondit à mes questions silencieuses immédiatement.
-Je retourne en Australie. Avec Calum. Mec, j'ai plus aucun doute, j'suis amoureux.
D'habitude, j'aurai levé les yeux au ciel et souris, mais là, j'étais incapable d'utiliser mon cerveau pour autre chose que l'écouter, terrorisé.