Chapitre 5 : Prise de conscience.

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J'étais sortie du magasin en vitesse, sans avoir rien acheté d'autre qu'un tout petit attrape-rêve pour le mettre en pendentif. J'avais été prise d'une sorte de malaise étrange. Il y avait très peu de monde dans les rues, j'errais au hasard, ne sachant pas trop où aller. A vrai dire, j'étais un peu perdue dans Chittenden. Et je ne me sentais pas très bien. Je vérifiais ma montre : il était à peine 9h15. Je voulais rentrer à la maison, mais il était apparemment trop tôt. Je passais devant le lycée, mais je n'avais pas envie d'y entrer. C'était un grand bâtiment, peint en beige, laid. C'était le plus laid de tous les bâtiments de la ville. Le malaise revint à la charge, la tête me tournait. Je m'installai maladroitement sur les marches des escaliers du lycée. Je sentais mon cœur qui cognait douloureusement dans ma poitrine. Que m'arrivait-il ?

Je me levai et me remis en marche, je ne voulais pas rester ici. Pas une minute de plus. Dans ma tête, c'était comme si un voyant d'alerte s'était allumé. J'avais envie de fuir la ville et d'aller me refugier dans la forêt, sous les ombres apaisantes des grands arbres. Mes pas me menèrent inconsciemment vers la sortie de la ville. Je fis bien attention de marcher au bord de la route, bien qu'il n'y avait que très peu de voitures qui circulaient. Au bout de plusieurs minutes de marche rapide, je me retrouvai à l'orée de la verdure. L'air me parut si pur. Les arbres si hauts. Et l'ensemble de tout ça, si beau. Je me blottis au sein de l'immensité végétale qui apportait un peu de paix à ma guerre intérieure. Le malaise disparut aussi vite qu'il était apparu. Et même si l'origine de mon mal étrange restait obscure, je me sentais beaucoup mieux. Et c'était tout ce qui m'importait. J'étais tombée amoureuse de cet endroit magique.

Je mis les mains dans mes poches et j'y trouvais le petit attrape-rêve, issu de la boutique du garçon indien aux yeux vairons. Mon cœur fit un bond sous mes côtes. Le vent souleva mes cheveux. Je me sentais bien, enveloppée dans la fraîcheur des érables rougeoyants. Il faisait doux. Et je me sentais vraiment bien. Des souvenirs affluaient en vrac dans mon esprit. C'étaient de jolies images. Il y avait toujours le soleil immense qui illuminait le ciel limpide comme de l'eau bleu. Et je repensai aux balades que l'on faisait avec ma mère du temps où on était encore à Boston. Je lui posai toujours des questions sur ce qu'était devenu mon père. Et je me souvins qu'elle me répondait toujours la même chose :

« C'est de l'histoire ancienne. On ne doit pas en reparler, Mélo. Jamais. Ne pose plus de questions sur lui. »

Et le pire, c'est que je lui avais obéis sans broncher, ne souhaitant pas apporter de l'instabilité dans nos vies, à elle et à moi. Mes mains tremblaient, tandis que le vent apportait de la douceur à ma peine et à mon incompréhension. Je serrais si fort l'attrape-rêve que je sentais les petites perles s'enfoncer dans la paume de ma main. Ce fut à cet instant-là que je voulus savoir, tout savoir. Je voulais obtenir la vérité, toute la vérité. Celle qui fait mal lorsqu'on l'entend, mais pour qui on serait prêt à faire tout un tas de choses folles pour la posséder.

J'étais sûre que j'avais eu un déclic dans la friperie des attrapes-rêves, quand je m'étais retrouvée devant le jeune indien au regard si contrasté. Il m'avait permis de réaliser ce que c'était d'avoir une identité propre, singulière, particulière. Il exposait librement sa culture, ses racines, ses Asubakatchin, dans son magasin. Je me disais que ce devait être merveilleux d'avoir quelque chose de personnel à montrer aux gens. Si j'avais eu un magasin à moi, qu'aurais-je pu donner à voir aux clients ? J'étais une fille sans racine, sans attache, sans repère paternel. Mon malaise avait certainement été dû à ce manque-là, à cette absence cruelle et creuse dans mon ventre. Et c'était triste.

Je fis demi-tour sereinement. Je devais rentrer en ville avant que ma mère ne termine sa matinée de travail. Perdue dans mes pensées tortueuses, je marchais en plein milieu de la route, cette fois-ci,

J'aurais bien aimé un jour aller m'acheter un autre attrape-rêve.

Les Voyous. Où les histoires vivent. Découvrez maintenant