30 - Hot boy, hot girl

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- Lukosdulus ?

- Oui, monsieur ?

Abaddon Tahir était vêtu  uniquement d'un long peignoir corbeau, brodé d'or. Il était allongé au  bord d'une piscine d'intérieur, sur un transat couvert de coussins  moelleux. Un homme d'une soixantaine d'années, au visage marqué par des  rides et aux yeux cernés, s'avança vers Tahir. Lukosdulus était habillé  d'un complet marron légèrement démodé, une chaîne de métal patiné  dépassant de la poche à gousset. Il ressemblait à un majordome ; ses  cheveux blancs soigneusement coiffés couronnaient une calvitie bien  avancée, ses manières affables et discrètes cachaient une volonté de  fer, et ses yeux gris et fatigués luisaient parfois d'une étrange  lumière. Il portait sur le poignet un large tatouage : une tête de loup  contre un drapeau américain aux couleurs délavées et une ancre noire, le  tout encadré d'une sentence : « The shadow of death is the one I cast ».  Contre les omoplates étoilées de cicatrices blanchâtres de Lukosdulus  s'étendait un autre tatouage, sans doute plus ancien car plusieurs  cicatrices l'avaient décoloré, six symboles runiques, qui formaient - une  fois déchiffré - le mot ULFARK. Pour l'heure, il eût été  impossible au lecteur de discerner ces larges et menaçantes marques sans  l'œil avisé et omniscient de l'auteur. Il eût même été impossible de  deviner qu'un homme au visage si calme et d'apparence si distingué  pouvait être porteur de tatouages et cicatrices si lourds de  significations. Sans regarder son majordome – car c'est ce à quoi  Lukosdulus ressemblait le plus en cet instant, Tahir soupira et agita la  main négligemment :

- Cette fille, celle qui traîne dans la villa depuis la semaine dernière...

- Miss Amanda, monsieur ? tenta Lukosdulus d'un ton tout à fait neutre.

- Oui, je crois. Elle est partie ?

- Hmm.  Non, monsieur, répondit le majordome de sa voix lente et presque  douloureuse. Il me semble qu'elle se trouve dans le lit de monsieur.

- Encore ?! se récria Tahir en levant les yeux au ciel. Mais qu'est-ce qu'elle attend, que je lui fasse un enfant ?

- Je  gagerais que cela lui ferait plaisir, monsieur, répondit Lukosdulus en  plissant les yeux. Et miss Amanda n'est pas la pire que monsieur nous  ait ramenée, si je puis me permettre. Monsieur serait-il intéressé par  quelque autre jeune dame ?

Le majordome scruta avec attention les  réactions de son maître, dont les lèvres se plissèrent sous une forme de  colère presque enfantine.

- Ce sont les femmes qui sont intéressées  par moi en premier lieu, rétorqua Tahir sur un ton un peu trop  agressif. J'agrée ou je n'agrée pas, mais je ne me jette pas à la tête  d'une fille moi-même.

- Comme monsieur voudra.

Abaddon soupira d'agacement et fit craquer les articulations de ses doigts.

- Monsieur ne devrait pas faire cela, monsieur s'abîme les mains.

- Pour la centième fois, Lukosdulus, votre avis m'importe peu. Allez signifier son congé à Amélie.

- Amanda, monsieur.

- Peu importe ! Dites-lui de ramasser son string et de décamper.

- Mais,  et le mandat d'arrêt contre vous, monsieur ? rappela le majordome sans  bouger. Si elle parle et qu'elle attire l'attention sur le fait que vous  vous trouvez dans la villa, vous devrez une fois de plus passer quelque  temps à l'ambassade.

- Cette médecin-légiste a ordonné une analyse des  éléments de la scène de crime : une fois qu'on aura prouvé qu'il n'y  avait pas de...

- Le laboratoire n'a pas encore rendu ses analyses, monsieur.

- C'est une plaisanterie ?

- Non,  monsieur. Et il est à espérer que l'ADN de ce Dupré soit bien inhumain,  monsieur. Ou monsieur peut dire adieu à sa tranquillité.

- Vous  avez d'autres réflexions constructives comme celle-là, Lukosdulus ?  grogna Tahir, l'œil mauvais. Je ne laisserai pas mon père... Oh, non...

- Abaddon ! A-ba-don !

La  voix aiguë et encore quelque peu avinée d'Amélie – ou plutôt Amanda –  retentit dans les escaliers qui menaient à la piscine couverte. Elle  disait « A-ba-don » et pas « A-bad-donne », ce qui était la prononciation correcte, et rien que cela irritait le treizième célibataire le plus convoité.

Amélie  – non, Amanda – descendit les marches en gloussant dès qu'elle manquait  de glisser et de s'y tuer. Ses longues extensions blondes emmêlées et  vêtue d'un simple bikini qui laissait peu de place à l'imagination, elle  rejoignit en zigzaguant Lukosdulus et lui saisit le bras en minaudant :

- Dites, vous... Vous avez pas vu A-ba-don ?

- Non, madame, pas de la journée, madame.

- Vous  pouvez m'appeler Amanda ! se récria la jeune femme avec un long rire  enchanté. Je ne suis pas mariée... pas encore ! ajouta-t-elle avec un  clin d'œil peu équivoque. Oh, c'est votre chat ?

- Hum. Non, madame, c'est le chat de monsieur Tahir, madame.

Sur  le transat, l'air particulièrement mauvais, un grand chat noir élancé,  aux yeux jaunes, foudroyait la bimbo imbibée du regard. Le félin échappa  souplement à la caresse imprudente d'Amé... Amanda, et bondit dans les  escaliers qui menaient au rez-de-chaussée de la villa, laissant seul  Lukosdulus avec la play-mate. Cette dernière posa la main sur les fesses du vieux  majordome et lui lança un nouveau clin d'œil :

- Bon, alors puisqu'on est que tous les deux, vous avez pas un maillot de bain, quoi ? Qu'on pique une tête !

- Un de ces jours, marmonna le majordome en anglais, je le tuerai...

Et le chat, qui était resté un instant en haut des escaliers pour entendre la chute, sourit d'un air narquois.

*

Boom!

J'espère que ça vous plaît toujours ;-)

Merci de suivre !

Sea

Vampire ConsultantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant