36 - Lowlander

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Le chapelet de jurons que Colibri enchaîna, en remontant le hall de  l'aéroport jusqu'aux toilettes où Radu avait été tristement abandonné à  son sort, ne serait pas digne d'être retranscrit dans un roman. Il  s'agit de la raison principale pour laquelle nous ne le ferons pas.

La  seconde est que l'auteur souhaite offrir un terrain d'expression égal à  chacun des personnages et que si l'auteur retranscrit la verve de  Sophie, il sera contraint de faire de même pour Abaddon. Or, Abaddon  s'exprimait, le soir même, en farsi. Non pas que l'auteur ne puisse  écrire quelques jurons bien sentis dans la langue perse, mais son  traducteur n'étant pas de bonne humeur, l'auteur préfère ne pas le  déranger pour de telles broutilles.

L'auteur, par cette transition subtile, décide donc de réaliser une rapide ellipse narrative, temporelle et géographique.

Cela  faisait deux heures que Tahir attendait, dans une cellule de quatre  mètres carrés, qu'un miracle se produisît. Abaddon Tahir, arrêté ce jour  pour homicide volontaire, n'avait pas encore été transféré à la maison  d'arrêt pour la simple et bonne raison qu'il était le treizième  célibataire le plus convoité du monde et qu'il avait d'excellents  avocats. Et que Wall Street risquait de fortes perturbations si qui que  ce fût apprenait sa déchéance avant d'avoir la certitude parfaite de sa  culpabilité. Or, le capitaine Mickaël Aleksey l'entendait depuis deux  heures, Abaddon Tahir clamait son innocence. Tout d'abord dans un  français tout à fait correct, puis – la colère aidant –, le richissime  homme d'affaire avait divergé pour marmonner une suite de jurons, de  menaces et de malédictions en farsi. Habitué à être insulté dans un  panel de langues variées, Aleksey – qui, avec tout cela, faisait des  heures sup'... – était resté de marbre. Mickaël finit cependant par se  lever pour aller réchauffer un plat pour lui et celui dont il avait la  garde. Lorsqu'il s'approcha de la cellule, qui était en fait une cellule  de dégrisement, il ouvrit le panneau qui aveuglait un hublot : Tahir,  le visage fermé et les yeux luisant de rancœur, était debout, adossé au  mur, les bras croisés.

- Dites, soupira Aleksey, soit vous êtes sage  et j'ouvre la porte, soit vous êtes désagréable et je passe votre  plateau-repas à travers la fente.

- Khak too saret, bisho'ur(1).

- Oui,  je sais, répondit Aleksey en jetant un regard triste sur le  plateau-repas. Ça sent bizarre. Mais on s'y habitue vite, et si ça peut  vous consoler, je suis obligé de rester debout toute la nuit pour vous  et je dois manger la même chose.

Le capitaine vit Abaddon lever  les yeux au ciel puis lui adresser un regard condescendant. Même dans  une cellule de dégrisement minable, aux murs marqués par des taches aux  origines plus que douteuses, le PDG de Zenvolf Corp. gardait un  panache royal. Mickaël, qui gardait en tête – malgré son aversion  naturelle pour Tahir – les doutes émis par Colibri quant à son  implication dans le meurtre de Dupré, soupira pour la énième fois et  tourna le verrou de la porte.

- Ne laissez pas cette chose écœurante que vous osez appeler nourriture dans la pièce, cracha aussitôt Abaddon en levant l'index.

- Si vous êtes transféré ailleurs et interrogé, je vous jure que vous regretterez ne pas avoir mangé.

Les lèvres d'Abaddon se retroussèrent sous le mépris. Aleksey soupira :

- Non, sérieusement, Tahir, vous devriez manger.

- Vous ne me demandez pas pourquoi je cherchais des informations sur votre collègue ?

Le  prisonnier avait posé cette question d'une voix si calme et si  pénétrante que l'instinct le Mickaël lui souffla aussitôt qu'ouvrir la  porte de la cellule avait peut-être été une erreur. Le capitaine fronça  les sourcils :

Vampire ConsultantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant