Partie 2 : L'union

144 11 7
                                    

                  

Une fois l'accord entre nos deux familles passé, j'eus l'impression que les deux mois restants furent rétrécis en deux insignifiants petits jours. Sans même sentir le poids des préparatifs que ma mère préférait supporter par elle-même, j'ai vu ma penderie se remplir de toutes les plus somptueuses robes qu'une future mariée pouvait rêver avoir, vu les appels affluer à la maison suite à la réception des faire-parts, et vu des cartons se remplir de mes affaires pour être déménagés dans notre futur  « chez nous ».

Chez nous.

Cela me faisait toujours un drôle d'effet de savoir que bientôt, nous ne serions plus que deux. J'avais eu l'occasion de voir la maison en question ; mon père me l'avait faite visiter plus fier et heureux que jamais, ayant dirigé sa rénovation avec amour. Elle était aussi grande et somptueuse que promise, flambant neuve, comme appelant à écrire une nouvelle histoire dont elle serait le témoin. C'était l'endroit parfait pour le départ d'un couple fraîchement marié.

Malgré toutes les robes qui étouffaient ma penderie, ma robe de mariée n'arriva que la veille du jour J. En l'enfilant sous les yeux de mes cousines émues, ma mère et mes tantes m'y aidant, je ne pus m'empêcher de ressentir une poine d'excitation culminer dans mon cœur, et des papillons secouer mon ventre. Elle était si blanche, si travaillée, la dentelle si délicate... C'était une véritable merveille. Même si ce mariage était loin d'être un rêve, cette robe maintenait à elle seule l'illusion que j'allais vivre le plus beau jour de ma vie. Mes tantes s'étant afférées à relever mes longs cheveux bruns de manière élégante, à mettre en valeur mes lèvres pleines, mon teint mat et mes yeux clairs, je finis réellement par croire que j'étais vraiment la femme de la journée.

Je ne pus m'empêcher de me demander ce que tu en penserais, toi qui semblait si indifférent à tout ce qui arrivait autour de nous, sachant que ce mariage n'était souhaité par aucun d'entre nous.

Mais tu sais, lorsqu'enfin tu es arrivé à la tête de ta famille pour venir me chercher chez mes parents, les tiens te suivant de près, je l'ai vu : cette petite lueur qu'un mari a dans les yeux lorsqu'il découvre sa femme dans sa robe de mariée pour la première fois, cet émerveillement innocent devant la beauté de celle qu'on aime, ce moment de flottement où le regard est captivé au point de ne pouvoir fixer autre chose... je pourrais jurer sur mon honneur de femme l'avoir vu dans la noirceur de ton regard, Nahel. Peut-être pas avec la même intensité que celle d'un homme qui aime la femme qu'il s'apprête à épouser, mais toujours est-il que tu as ressenti quelque chose en m'apercevant, tout comme j'ai ressenti quelque chose à ce même instant en te voyant me regarder ainsi, toi qui ne m'a jamais porté d'attention.

Se tenir la main et baiser le front étaient, dans la culture qui nous avait bercés, les seuls signes d'affection publiques qu'un mari pouvait montrer à sa femme aux yeux de tous. Sûrement par tradition, tu m'as donné ce baisé en arrivant, et peut-être emporté par l'ambiance, tu m'as également tenu la main pour m'extirper du cocon familial qu'était la maison de ceux qui m'avaient élevé ces vingt-trois dernière années.

C'était drôle, de me sentir comme une petite fille le jour de mon propre mariage. J'ignorais pourquoi j'étais dans cet état, alors que je redeviendrais certainement le lendemain même toute aussi indifférente face à notre union que je l'étais la veille. Après tout, nous nous étions déjà mariés religieusement en compagnie de nos parents. Mais sentir ta main dans la mienne, nous qui nous regardions à peine, moi qui n'avais jamais côtoyé d'homme au-delà de la barrière des yeux, me fit me sentir vulnérable à souhait. Encore aujourd'hui, je pense que je m'étais laissée bercer par cette ambiance de fête, de joie et de cris de guerre heureux qui teinte les mariages de chez nous. J'étais la mariée, tu étais mon mari. Nous devions être heureux.

Ta main ne me lâcha pas de la soirée. Pourquoi, je l'ignorais. J'eus l'occasion d'entendre ta voix grave et posée se manifester toute la soirée pour répondre à tes parents, frères, tantes, oncles, cousins, amis qui se chargeaient d'égayer la fête. C'était agréable et mystérieux de t'entendre parler : je te découvrais. A l'image des messages que tu ne m'as jamais envoyé durant ces trois mois, je n'avais jamais entendu ta voix. J'ai eu cette admiration enfantine toute la soirée, et j'ai tenté de te la cacher comme on essaie de recoller les morceaux d'un vase brisé : chaque fois que tu me parlais pour me dire de me lever, de saluer tel parent, ou pour n'importe quelle autre bricole futile, je sursautais malgré moi de surprise. Tu évitais également de me regarder : Je voyais ton regard dévier chaque fois que je te répondais, ou que j'enfilais une nouvelle robe et faisait mon entrée dans la salle. Je pense que tu ne voulais pas que je vois de nouveau ce regard que j'avais reçu chez mes parents.

Mes cousines m'enviaient tellement, si tu savais. Elles te trouvaient si beau, si calme, si charismatique : tu avais le charme de l'homme mystérieux qu'on veut connaitre, de celui dont le regard est si difficile à attraper, et plus encore à attirer. Tout le monde semblait penser que nous étions fait pour être ensemble, « vous allez si bien ensemble » me répétait ta mère, heureuse. Nous avons également eu notre danse, qui a lancé les festivités de la soirée : ce fut le seul moment où tu te permis de me regarder dans les yeux. J'espérais, pour mon amour propre de femme, que tu pensais que j'étais belle en me scrutant comme tu l'as fait. Je le souhaitais au plus profond de moi.

La soirée se termina comme se termine un rêve : une fois la bise faite à tout le monde, la salle rangée et les au revoirs aux parents effectués, la robe enlevée et les talons retirés, la cravate desserrée et la chemise déboutonnée, nous étions retournés à notre état normal. A la différence près que nous étions chez nous, seuls, et mariés.

Mais comme on est sonné par notre rêve au réveil, mon esprit n'eut de cesse de fourmiller cette nuit là, après notre mariage. Et bien que dans notre grand lit, nous étions chacun collé à des rebords différents, éloignés comme jamais autant physiquement que par les mots, je ne pus fermer l'œil de la nuit.

Je me demande encore si toi aussi.

Le temps d'un mariageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant