Chapitre 1

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Ma mère sonne et nous attendons devant la porte. Il fait très froid, je suis congelée malgré la grosse écharpe autour de mon coup et mon bonnet. On ouvre enfin !  La sœur de ma mère, Brigitte, nous fait entrer tout en s'excusant pour l'attente. Tout le monde nous attendait déjà. Mamie, Papi, tonton Fred, tata Françoise et tous mes cousins. Alexandre, Benjamin, Sabia, Corrine et Amélie. Je leur saute presque au coup. Comme je suis contente de les revoir ! Après un copieux repas, on m'offre mes cadeaux d'anniversaire. Un, non, deux livres ; une robe bleu océan ; un portable (enfin !) ; des paires de boucles d'oreilles ; quelques CD.

Lorsque c'est le tour de ma mère je crois la voir hésiter avant de me tendre le paquet, les larmes aux yeux. C'est un ancien journal, magnifique. Le cuir rouge sang est craquelé sur les côtés mais je ne pense qu'au nom écrit sur la couverture : Alban. Ma mère m'a dit, il y a peu de temps, son nom. Le nom de ce père qui n'a même pas cherché à me connaître. Celui qui est parti un beau matin en me laissant aux mains de ma mère, en nous laissant seules. J'ouvre doucement la couverture comme si j'avais peur qu'elle se détache. Des phrases sont écrites sur des feuilles épaisses et un peu jaunies. Il y a aussi des photos.

- Qu'est-ce que....

- Il l'a écrit avant de partir. Il te raconte toutes les anecdotes qu'il a vécues. Il parle aussi de moi. Tu as vu, il a écrit ton prénom. Tout cela, il te le raconte à toi. Je crois qu'il a écrit ce journal pour s'excuser. Pour s'excuser d'être parti sans laisser de nouvelles.-ma mère cache mes mains dans les siennes- Il t'aime. Et même s'il ne te voit pas, je suis sûr qu'il pense à toi. Chaque jour, chaque seconde. Il n'avait pas le choix. Ne lui en veux pas.

-....

Je reste abasourdie devant cette grosse vague de paroles émouvantes. Mais pourquoi prend-elle sa défense ?! Je me souviens très bien de sa colère, le jour ou elle s'est réveillée sans lui a ses côtés, le jour où elle a remué la maison de fond en comble avant de se rendre à l'évidence, dans une crise de larme maîtrisée pour ne pas me faire peur. Je suis grande maintenant, elle n'a plus besoin de caché ce qu'elle ressent !

Je veux parler, dire n'importe quoi. Mais non. Les mots restent coincés dans ma gorge. Seul des larmes salées et glacées coulent sur mes joues. Je sers le journal contre moi. De plus en plus fort, à le briser. Je voudrais qu'il soit ici, malgré toute ma rancoeur . Avec toute la famille. Je voudrais pouvoir le serrer dans mes bras et c'est contre son torse que je voudrais pleurer. Je suis tellement émue.

- Je vois bien que tu veux parler, dit ma mère en me serrant dans ses bras, mais tu n'y arrives pas. Alors ne dis rien, mais penses à lui tout le temps. C'est ce que nous pouvons lui offrir de mieux. Tu ne crois pas ?

Comme si je pouvais répondre ! En vérité, il m'arrive de penser certaines fois qu'il ne voulait pas partir, mais qu'il l'a fait pour nous protéger de quelque chose, comme le ferait n'importe quel bon père. Si ça se trouve, à l'heure qu'il est, il est mort. Mais étrangement, je n'arrive pas à m'inquiéter pour lui. J'hoche tout de même la tête . J'aimerais faire plaisir à ma mère. Penser à lui, mais non avec de la haine dans le coeur. Mais je ne peux pas m'en empêcher.

- Et ces pages blanches, celles qu'ils restent et bien elles sont prêtes. Prêtes et elles attendent que tu écrives ta propre histoire. Bien des choses vont se passer. Ce n'est que le début. Ta vie, c'est encore une page blanche et elle attend avec impatience des changements. De nouvelles émotions qui seront comme de belles taches de couleurs sur ces pages vierges.

Je pleure encore plus. C'est tellement beau ce qu'elle vient de me dire. Jamais elle ne m'avait tant pris pour une jeune fille. Je viens d'avoir seize ans mais quand même. Ses mots me réconfortent et j'arrête de pleurer après de longues minutes. On m'a toujours dit que j'étais fleur bleu. Nous rentrons vers 23h et après avoir fait une toilette rapide, je me glisse dans mon lit. Je m'endors presque aussitôt après mettre couchée. Ma petite personne a reçu beaucoup d'émotions se soir. Je ne rêve que de mon père pendant la nuit et je me lève de bonne humeur le lendemain matin.

Je réfléchis à l'endroit où je pourrais ranger le vieux journal de papa. Dans le tiroir ? Non, trop facile, et puis, si j'écris mes aventures dans ce carnet, je compte bien y mettre des choses intimes. Derrière ma table de chevet ? Huumm, ça reste voyant. Soudain, mon esprit a enfin une idée valable : dans la taie de mon oreiller. Je glisse le carnet dedans et décide d'aller faire un tour au parc. Après quelques minutes de marche, je rencontre Astrid, ma meilleure amie. On n'est aussi différente l'une de l'autre que le jour et la nuit, mais c'est cela qui fait notre force ! On s'assied sur un banc et on discute. Puis, elle m'offre mon cadeau d'anniversaire. Je le déballe avec impatiente. Un petit MP3 blanc et bleu reflète au soleil.

- Merci beaucoup, il est magnifique, dis-je sincèrement en la serrant dans mes bras.

- Tu sais, ce n'est pas grand-chose...

- Ben si, quand même ! Encore merci !

Elle me sourit, et me pose la question à laquelle je m'attendais :

- Alors, qu'est ce que tu as eu avec ta famille ?!

J'allais commencer une phrase mais mes yeux se perdent dans le vide et je prête plus attention aux petits oiseaux qu'à Astrid. Un jeune homme attire mon attention. Il porte une veste vert foncé et Il me jette des regards brefs toutes les cinq minutes. Son visage est bien caché sous sa capuche, cela le rend mystérieux. Je me mets à sourire. Il semble attendre que je m'en aille.

- Eh oh, tu m'écoutes ou pas ?

- Excuse-moi, non. Tu disais ?

Elle suit mon regard et me sourit à nouveau, mais cette fois, son sourire est plus malicieux.

- Oh, d'accord ! Il y a des choses bien plus intéressantes derrière moi. C'est bien ce que je pensais. Bon, je te laisse alors. A bientôt ! 

Je lui adresse un sourire et un signe de la main tandis qu'elle s'enfuie en courant puis l'observe s'éloigner peu à peu. J'allais moi aussi m'en aller lorsque le jeune homme à la veste verte s'avance vers moi, le regard baissé. je ne sait pas quoi faire, il me fait un peu peur, en réalité...alors je reste plantée où je suis. Il me bouscule et un petit papier jaune tombe de sa poche.

- Excusez-moi, murmure-il, le regard toujours fixé au sol.

- Ce n'est pas grave. amis attendez....

A peine ai-je prononcé ces mots, que je le perd de vue. La petite carte est restée au sol. Je la ramasse et lis : "Médiathèque 15h mercredi prochain." Et c'est tout. J'aurai aimé, ce jour-là, avoir fait comme si de rien n'était, l'avoir laissée, et ne pas mettre dis que ce message m'était destiné. Mais il a fallu que je le fasse. Que je vienne à ce rendez-vous qui a changé le cours de ma vie.


(EN PAUSE !) Entre deux mondesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant