Chapitre 4

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Les Vans, 10 jours plus tard

C'était impensable. Et pourtant je n'avais pas rêvé.

Il y avait eu de nombreuses apparitions d'êtres féeriques dans ma vie, mais bien sûr, j'attribuais ça au fait que j'avais mal vu quelque chose. La chose que j'avais vue voler au-dessus d'un rocher un bref instant... Le gros nez que j'avais cru entrapercevoir entre les liserons. Ma mère me racntait trop d'histoires, selon mon père. Et pourtant, aujourd'hui, aucune explication rationnelle n'arrivait à justifier ce que j'avais vu. J'étais là, couchée sur mon lit en mode ado moyen, en réfléchissant qu'est-ce que je devais faire. Ma chatte, Murr, me regardait d'un air perplexe.

Treize ans et demie.

Il peut s'en passer, des choses, dans un temps si long. Mais cette journée-là différenciait de tout ce que j'avais connu. Je venais de vivre quelque chose d'impossible à comprendre.

Ce matin. Mon père s'était étranglé en lisant e journal : le corps d'Hugo Quelquechose avait disparu. Un vieux marginal prétendait qu'il avait été ravi par les fées qui comptaient lui offrir une sépulture. Le mystère total se prologeait sur cette affaire bizarre...

Je soupirais. À l'échelle de l'humanité, un cadavre, ce n'en était qu'un parmi des dizaines de milliards. Mais cela dit, suite aux attentats de janvier, tout le monde se montrait méfiant. Ils diasaient que ça renforcerait la fraternité en France, tu parles ! Des voix qui montent pendant les repas, les gens qui s'inquiètent dans la rue, les actes islamophobes, bienvenue en 2015 ! Mais tout se passait mieux en ce moment. C'était juin, l'année serait bientôt finie. Je n'avais pas envie de me prendre la tête avec dees histoires d'adulte. Je suis une fille normale, qui n'a peur que des dangers imminents. Ou du moins, J'ÉTAIS normale.

Mais peut-être que je l'étais encore, à ce stade-là ? C'est normal pour une personne normale d'avoir des réactions normales devant des choses anormales.

À force de tergiverser, j'allais devenir folle.

Récapitulons. Où en étais-je ?

Bref. Le vol du cadavre n'était pas pour moi une affaire primordiale. J'avais bien compris, en fin de compte, que je n'étais ni Tintin, ni Sherlock Holmes. J'étais partie du collège sans faire plus d'histoires que ça. Dans la cour de récré, en revanche, les filles ne parlaient plus que de ça. Je suis une fille normale, même si j'ai peut-être moins de copines que certaines chipies qui se croient encore en CM2. Mais quand les amis de tes amis sont tes amis, au total, côté discussions, ça te fait une sacrée grappe.

Une fille un peu bizarre, Éloïse, parlait d'une invas -son troiion d'aliens. Impossible de savoir s'il s'agissait d'une plaisanterie ou pas avec elle. Un garçon plutôt sympathique, Bruno, s'en inspirait en cours de maths pour écrire un de ces polars noirs -son troisième- dont il avait le secret. La bande de machos du style "Non-mais-t'as-vu-la-nana-en-soutien-gorge" faisaient leur lot habituel de blagues vulgaires sur les strings et compagnie.

Je rentrais. Et là, tout allait chavirer. Mes convictions, ma logique, mon univers personnel. TOUT.

Près d'une haie, un oiseau s'empêtrait dans un buisson. Ma mère était vétérinaire, elle m'avait appris comment les sauver. Avec une précaution extrême, je l'enlevais de son piège. Jusque-là, rien d'anormal.

Et puis il y avait eu un flash.

L'oiseau avait disapru. À la place se trouvait un petit homme minuscule. Une sorte de vieil homme tout fripé qui me regardait avec un air... narquois et reconnaissant à la fois.

"Merci, jeune jouvencelle. Que puis-je faire pour vous remercier ?

--M...Moi ? Rien du tout !

--Oh, je suis persuadé que vous désirez quelque chose. Les humains désirent toujours quelque chose. Et ils ne parviennent jamais à l'avoir. Mais je suis pressé. Très pressé. Nousnous reverrons, plus tard. À l'occasion.

--Vous allez où ?

--Secret confidentiel.Ah oui, et au fait : vous avez la chance inestimable de rencontrer un des derniers membres du Petit Peuple. Nous sommes bien d'accord : n'en parlez à personne !"

Le Petit Peuple.

Et voilà. Une seconde plus tard, il était redevenu un oiseau, et puis il s'était envolé jusqu'à ce que je ne le voie plus.

Et moi, j'étais restée là, avec trois mots qui tournaient en boucle dans ma tête.

Le Petit Peuple.

Le Petit Peuple.

"Qu'est-ce que tu en penses, toi ?" j'avais demandé à Murr. Elle n'avais rien pensé, elle n'avait rien dit. Les chats ne pensent pas, les chats ne parlent pas.

Demain, j'aurais peut-être compris qu'il ne s'agissait que d'un rêve. Ou d'une hallucination. Je evais dormir à présent. Il se faisait tard.

J'étais blottie dans les draps. Impossible de m'endormir. Toujours les mêmes pensées qui m'obsédaient. Je me tournais, me retournais. La chatte m'aurait mise sa queue devant mon nez ququ'il n'aurait plus manqué que ça !

demain, ma mère me dirait "Annie, tu as bien dormi ?". Je lui dirais "Oui", comme je le faisais systématiquement à chaque fois. Mais ma langue serait pâteuse, mes yeux cernés, et mes cheveux seraient en pétard. Elle verrait tout de suite que j'ai menti. J'aurais passé une nuit blanche.

Soudain, j'entendis un grattement. J'avais horreur des grattements, des craquements, qui m'avaient engendré tant en tant de cauchemars. Les grattements sont un excellent élément de film d'horreur : ils peuvent être produit par n'importe quoi. N'importe qui. Je m'enfouissais la tête sous la couverture. Les grattements peuvent être produits par absolument n'importe qui n'importe quand, contrairement aux craquements et aux grincements.

Les grattements recommençaient. Ça venait de la fenêtre. Je me cachais sous les draps. Et Murr ? Elle dormait en bas de mon lit, comme d'habitude. Pourquoi je n'allais pas la secourir ? Oh, je n'étais qu'une lâche, qu'une lâche !

La nuit est ainsi. Des choses qui ne vous effraient pas dans la lumière deviennent des terreurs dans le noir nocturne. Il n'y a que le silence et les mystères non-dits. La nuit est la chose la plus sauvage qui existe.

Au bout d'un quart d'huere (une heure ? une éternité ?), je décidais de voir. Même si ça devait me tuer. Je me levais vers la fenêtre. C'était une bestiole qui grattait.

De loin, sa silhouette ressemblait à celle d'un gros suricate. Mais il n'y a pas de suricates en France, à part dans les zoos. Non. Je m'approchais. C'était uns sorte de martre, ou de fouine.

Je décidais d'ouvrir la fenêtre. Ce n'était qu'une pauvre bestiole, aprè tout...

Annie du Chassezac_La ThébaïdeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant