Chapitre 15

7 0 0
                                    

Les Vans, 18 h 45


Le commissaire Lamartine allait prendre l'air. Il en avait ras le bol. Ces affaires tournaient en rond, le boulot lui prenait trop la tête. Il se promena dans les rues étrangement désertes et embrumées, ce qui n'était pas désagréable pour la saison. Et puis il vit de la fumée plus opaque et pas vraiment fraîche. Sans importance, se dit-il.

Il s'adossa à la gouttière d'une maison et regarda, rêveur, les nuages se dissiper dans les coins de ciel visibles. Puis un inconnu, qui devait être un touriste mais qui n'en avait pas du tout l'air, arriva et s'approcha de lui.

"Excusez-moi, dit-il, mais ne connaîtriez-vous pas une jeune fille du nom de Annie du Chassezac ?

-Si, c'est le nom de la fille de mon collègue. Pourquoi ?

-Mon fils voudrait lui donner la photocopie des cours qu'elle avait séché.

-Vraiment ? Vôtre fils est scolarisé ici ?

-Il est nouveau dans sa classe, il est vrai. C'est en particulier pour des raisons financières que je suis ici.

-De quel comité êtes-vous ?

-Il ne vous dirait sans doute rien. Sachez juste que j'en suis le président adjoint Caleb Dulièvre."

Et il s'en repartit.

Il rit intérieurement. Annie, sécher un cours ? Elle qui y trouvait toujours une occupation !

Je n'arrivais pas à me faire à l'idée de quitter la maison à jamais. Que diraient mes parents ? Mon père serait-il capable de me retrouver ? Qui célèbrerait mes anniversaires ? Serais-je capable de supporter tout l'inconfort de la forêt ? Et surtout, que devais-je emporter ?

Je pris un calepin -ça pourrait servir-, des vêtements de ma taille au-dessus, un de ma mère quand je serais vraiment trop grande, quelques biscuits pour les jours à venir, le roman que je lisais pour le moment, un savon -je n'étais pas une femme des cavernes-, et puis...

un ronronnement se fit entendre dans mon dos. Un torrent de soie chaude se glissa entre mes côtes. Une petite tête anguleuse me dévisagea de ses yeux ronds.

"Mais bien sûr, Murr ! Toi, aussi, tu viens !"

Je griffonnais un mot pour mes parents. Si ça pouvait les rassurer... J'avais dit dedans que je reviendrais bientôt. Encore un mensonge. Mais pour la noble cause.

Ils n'auraient pas à paniquer tout de suite et pourraient digérer la nouvelle. Ou du moins l'espérais-je. Cette situation -voir le mot d'un proche parti pour longtemps sans prévenir-, je ne savais pas ce que ça pouvait donner ailleurs que dans un film.

La Genette vint gratter à ma fenêtre. C'était l'heure. Pour la première fois de ma vie, je sentis que la moitié de moi-même se désagrégeait.

"Bon, tu viens, à présent ? couina-t-elle.

-J'arrive !" dis-je, agacée de devoir retourner dans l'instant présent.

De toute façon, je n'avais plus trop le choix. Mes parents allaient rentrer d'une minute à l'autre. Je regardais mes affaires sous mon oreiller : je pris ma baguette et la rangeais dans la valise. Quand ce fut le tour de l'écharpe à rêve, j'hésitais : était-ce bien prudent de m'en servir ? Je l'emportais quand même : il ne fallait qu'aucun mortel ne mette la main dessus. Surtout pas Caleb.

Déjà moi, ma chatte et mes affaires rétrécissions comme des petits vieux. La Genette se posta devant moi. Adieu, maison. Adieu, parents.

Désormais, ma vie serait dans les bois.

Enfin un endroit sans réveil-matin ! fit une petite voix en moi. Et je me mis à rire.

La journée n'était pas si mauvaise.

Garin Mattabas se promenait dans une rue déserte. Il n'y avait pas eu une idée cette journée. Pas d'inspiration. Il avait dû laisser sa phrase en suspense... Le comble pour un auteur se thrillers psychologiques.

Il vit soudain quelqu'un ouvrir une porte. On aurait dit qu'il la crochetait... Ne sachant que faire, il resta immobile. Un cambrioleur... Ou est-ce qu'il s'était carrément retrouvé dans un de ces romans ?

Il ouvrit les yeux un peu plus grand. Le type bondit dans la maison et courut vers l'étage. Il réapparut à la fenêtre d'une des chambres et se mit à fouiller. Et il fouilla partout, soulevant toutes sortes d'objets, de piles d'affaires et autres, mais apparemment, il ne trouvait rien. Poussant un juron, l'homme redescendit et s'en alla en courant. Garin voulut le poursuivre l'infant d'une miliseconde. C'était trop tard : il était déjà parti.

Qu'est-ce qu'il était venu chercher ?

Mais c'était sûrement un rêve, une hallucination. Ces brumes, à cette saison, ce n'était pas naturel, son esprit lui jouait des tours... Oui, sûrement, il avait rêvé...

Pris d'un doute, il se rua vers la cabine téléphonique la plus proche et contacta la gendarmerie nationale.

Mais Alvin était déjà parti de son travail.

Lorsqu'il rentra, il se dit que toute cette journée n'avait été qu'une perte de temps. Cela faisait vingt ans qu'il était commissaire, cela faisait vingt ans que l'on se foutait de lui. Tantôt c'était des niaiseries, une femme qui se plaignait de sa voisine pour un ventilateur mal positionné, un crétin pratiquant le harcèlement moral, tantôt c'était des énigmes que même les scénaristes de séries n'auraient pas pu trouver. La vie dans laquelle il vivait s'imprégnait dans la pourriture d'année en année. Il songea un instant à quitter sa femme.

La porte de sa maison avait été crochetée.

Et la maison était sans dessus-dessous. Des traces de pas par terre témoignaient que quelqu'un était venu tout saccager. Soudain, une pensée lui traversa l'esprit : sa fille ! Où était-elle ?

Il fonça vers sa chambre, la peur au ventre. En haut, il n'y avait tout simplement personne. Même pas le chat. Un Post-it était collé devant la porte d'entrée :

Papa, maman, ne vous en faites pas pour moi. Je vais bien. Je reviens bientôt. Annie

Je vais bien. Ce mot lui restait en travers de la gorge. Comment pouvait-elle aller bien alors qu'elle venait de se faire capturer ? Et quand bien même elle se serait pas faite kidnapper, comment expliquer ce capharnaüm ?

Il se mit à pleurer. Pour la première fois de sa vie en vingt ans de carrière, il comprit ce que devait ressentir une victime.

Annie du Chassezac_La ThébaïdeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant