C A S S I O P E I A
- Tu cours comme une dératée, sérieux, on dirait une débile !
J'explose de rire et j'adresse gracieusement mon majeur à Kal sans m'arrêter. L'herbe fraîche me chatouille les chevilles et une fine brise me caresse la peau. C'est enivrant. Je tourne, les bras tendus vers le ciel, et je ferme les yeux. Je n'ai pas envie de m'arrêter. Je me sens libre, ça fait tellement du bien.
Quand je rouvre les yeux, Kal m'observe toujours, installé dans l'herbe à quelques mètres de moi. Une cigarette pend à ses lèvres mais il ne l'allume pas. Il se contente de me regarder en souriant.
Je commence à avoir le tournis et le souffle court, alors je m'arrête et m'approche de Kal. Je me plante devant lui, une main en visière, et je le scrute. J'ai envie de le peindre, là, comme ça, allongé dans l'herbe avec un air serein collé au visage, avec des brins d'herbes dans les cheveux et avec sa clope au bec. Il est sublime. Un vrai chef-d'œuvre.
Je me laisse tomber à coté de lui et pose ma tête sur sa poitrine. J'entends les battements de son cœur. C'est la plus belle mélodie du monde. Ses bras viennent m'entourer et je me colle contre lui.
- Je peux te demander quelque chose ? dit-il contre ma tempe.
Je hoche la tête.
- Comment... Comment ils sont morts ? demande-t-il d'une voix douce.
J'ai besoin d'un instant pour comprendre. Il parle de mes parents. Tout le monde dans la ville sait que mes parents sont morts quand je n'étais qu'un bébé, mais la plupart ne savent pas comment.
- Ils rentraient d'un concert. C'était un concert de rock, je crois. C'est ma tante qui me gardait, j'avais presque 6 mois. Ils ont eu un accident de voiture. Ils sont morts sur le coup. Je ne peux m'empêcher de me dire qu'ils sont morts heureux, qu'ils venaient de vivre un truc cool et que leurs derniers instants étaient remplis de joie. C'est ce qui me console.
Kal reste silencieux, mais je sais qu'il aimerait me dire quelque chose. Il ne sait juste pas comment l'exprimer.
- Ils seraient fiers de toi, murmure-t-il. Très fiers.
Je souris légèrement et dépose mes lèvres sur les siennes. Ce n'est pas un vrai baiser, juste nos lèvres qui s'effleurent, mais ça suffit à mon cœur pour qu'il se mette à galoper. Je me replace sur sa poitrine et niche mon visage dans son cou. Ça sent tellement bon.
- Raconte-moi une histoire, je chuchote contre sa peau.
- D'accord. (Il réfléchit quelques instants.) Alors, c'est l'histoire d'un jeune paysan quelconque, assez beau mais qui ne fait pas grand chose de sa vie. Il vit avec sa mère dans un petit village, juste à coté d'un immense château où vit un roi et sa fille. La princesse a de longs cheveux blonds, très brillants, ses yeux ont la couleur du ciel et ses joues sont parsemées de taches de rousseur. C'est la plus belle princesse du monde. (Je glousse dans son cou.) Bref, un jour la princesse est capturée par un méchant brigand.
- Quoi ? Un brigand ? Mais c'est trop nul. Normalement c'est un dragon ou une sorcière !
- On s'en fout, un brigand, une sorcière, c'est la même. Donc, le brigand mi-dragon mi-sorcier enlève la princesse. Le paysan, fou amoureux d'elle comme tous les autres jeunes hommes, décide de partir la sauver. Il n'a rien à perdre et tout à gagner, alors il se lance. Il trouve l'antre du sorcier, où est emprisonné la princesse et il s'apprête à la délivrer quand il voit le sorcier. Et là, il tombe amoureux de lui. Ils s'enfuient ensemble et laissent la princesse à son sort. Fin.
Je me relève légèrement et le regarde pour voir s'il est sérieux.
- Tu te fous de moi ? C'est quoi cette histoire pourrie ?
- Bon ok, il tue le sorcier et délivre la princesse puis ils vivent heureux et ont plein d'enfants. T'es contente ?
Je me réinstalle à ses cotés.
- Si le paysan s'appelle Kal et la princesse s'appelle Cassiopeia, alors oui, je suis contente.
Je sens Kal se raidir contre moi et je regrette immédiatement mes paroles. Elles s'envolent dans le vent et un silence s'installe.
Une idée traverse mon esprit. Je me redresse et me penche au dessus de Kal.
- Ferme les yeux, dis-je.
- Pourquoi ? demande-t-il en haussant un sourcil.
- Tu verras, fais-le. (Il s'exécute.) Bien, maintenant pense à ce qui te tracasse. C'est bon ? (Il hoche la tête.)
Je lui assène une pichenette sur la tempe et il sursaute en rouvrant les yeux.
- Mais... Mais pourquoi t'as fait ça ? demande-t-il en se frottant la tempe.
- Pour chasser tes problèmes, dis-je en souriant. Regarde, t'y penses plus là.
Il soupire en secouant la tête, puis il explose de rire. Mon rire se joint au sien et je m'écroule sur lui puis nos gloussements se transforment en fou rire. Nous avons sûrement l'air de dingues, allongés l'un sur l'autre et rigolant comme des baleines. On est fous. Fous d'amour.