Une vie assez spéciale (T.1)

Chapitre 16

- Allô.
- Vous êtes qui ?
- Je  suis quelqu'un que tu connais.
- Mais qui ?!

La voix semble être celle d'un homme un peu plus âgé que nous le sommes. Je dirais qu'il a dans la trentaine, ou qu'il a peut-être la vingtaine. Sa voix raisonne et fait écho dans ma tête. On dirait la même personne qui entre dans mes pensées pour me les abîmer, afin que je sois de plus en plus démoraliser. Theo m'arrache le téléphone et avance en me serrant la main fortement dans la ruelle éclairée par le soleil.

- Désolé. Elle n'aurait pas dû !

Il tourne la tête vers moi et me relance un regard noir. J'ai le bras ensanglanté, il l'est toujours, les marques ne sont plus présentes, mais les quelques traces rouges le sont encore. Le sang est juste moins liquide, il est collant, accroché à ma peau, comme je l'étais auparavant, et ne semble pas glisser. Je remarque que quelqu'un nous regarde au loin, elle nous observe, sa tête me fait peur : on dirait qu'elle vient de voir un mort. Peut-être que c'est elle qui a peur, au final. Elle ne s'attendait sûrement pas à voir un couple en train de chuter dans les malheurs, l'obscurité de la nature et les désastres de l'amour. Elle nous regarde, il m'entraîne dans ses pas, en me tenant fermement. Elle continue de nous dévisager, elle a peur de nous, de lui, ou de moi ? Je l'entends toujours dire des mots. Ce sont toujours les mêmes qui sortent de sa bouche. Puis, il continue sans se préoccuper du ''si je vais bien ou pas''. Il trace son chemin en m'emportant avec lui. Il raccroche soudainement et s'arrête devant une épicerie, il sort de la monnaie et rentre à l'intérieur. Sa main m'agrippant toujours la mienne, il prend quatre sandwichs et une bouteille d'eau ainsi qu'un sac. Il passe l'argent à la caisse et récupère quelques billets et des pièces qu'il glisse dans la poche avant du sac. Il fait du rangement, puis on ressort de la petite boutique pour continuer la route, vers une destination inconnue. Je ne peux pas lutter contre sa force, il en a une beaucoup plus impressionnante que la mienne. Donc, je ne le regarde pas, je ne lui adresse pas un mot. Les larmes que je verse d'habitude ne sont pas présentes. Je ne trouve pas la force de pleurer, je suis anéantie, la poupée également et le garçon n'ayant aucun remords l'emporte dans ses pas.

Après une heure de marche, il s'exclame enfin et me demande pourquoi je ne lui parle pas. Je lève ma tête et mes yeux se tournent dans sa direction, croisant son regard, les larmes coulent enfin.

- Tu te fais du remords pour moi ?! Et... Tu... Tu me sers fort la main depuis au moins plus d'une heure ?! Puis... Ces... Regards noirs et toutes tes critiques ?!
- Ta réaction, tu pleures tout le temps quand je te parle, t'as peur de moi ou quoi ?!

Je crois que j'ai éveillé une autre de ses mauvaises parties. Une voix cruelle me souffle que c'est de ma faute ; mais une autre semble convaincue que je l'aide en lui montrant ce qu'il est. Que vais-je faire ? Qui vais-je croire ? En qui puis-je avoir confiance ? D'autres questions se posent, d'autres qui ne trouvent pas de réponse, pas de fins, des questions inachevées.

- Non...Oui... Je ne sais pas, je suis perdue. Et je suis totalement perdue. Puis ça ne répond pas à... Ce que je t'ai dit.
- L'heure ?Il est bientôt cinq heures.
- Tu vois ? Tu me réponds à ce que je t'ai demandé tout à l'heure ! Pas à ça !
- On s'arrête ? Tu as faim ?

Les larmes s'estompent lorsqu'il me met l'idée de la nourriture, un sourire se forme sur mon visage.

- On reprendra la discussion plus tard. Aussi, tu me prends sur les sentiments, alors, ça ne le fait pas.

On rit tous les deux, il a l'air heureux, un peu plus détendu. Je préfère cette personnalité, par-dessus toutes les autres capacités que ce monsieur a développées. Je fais ma petite fille, celle qui râle pour un rien, qui se met à bouder pour un rien... La petite fille capricieuse, c'est bien moi. C'est juste que j'ai appris qu'il ne fallait plus l'être. Ce n'est pas bien de vouloir la Lune, quand vos parents vous donnent la Terre.