Chapitre Onze : L'Autre Thé, dernière Goutte

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Il fallut deux mois à mon nez pour se rétablir convenablement. Mon nez tordu de deux millimètres vers la droite me rappellerait pour toujours que l'alcool et moi ne faisions pas bon ménage.

Il fallut deux mois à Temari pour finalement être capable de ne pas annuler nos rendez-vous café du jeudi soir. Je ne sais pas si l'un a un lien avec l'autre mais j'étais enfin présentable le jour où l'on se retrouva l'un en face de l'autre à boire une infusion dans ce salon de thé déserté de la moindre clientèle.

« Ravi de te revoir, Temari, depuis le temps.
- Ça va faire cinquante-trois jours, Nara. Je fais comme toi, maintenant, je compte, répond-elle sans lever le nez de sa tasse de thé qu'elle touille depuis une plombe. »

Je ne sais plus comment réagir avec elle. Ça fait deux mois qu'on ne s'est pas vus. La dernière fois c'était pour me voir pleurer de m'être fait péter le nez et celle d'avant encore c'était pour baiser comme des bonobos. On n'a jamais rien fait dans l'ordre et maintenant qu'on se retrouve ici, dans un lieu aussi neutre que peut l'être un salon de thé, je suis perdu. Comment j'engage une discussion qui ne remettrait pas sur le tapis nos vieilles querelles, mes envies de la palucher ou cette autre envie de lui mettre des tartes ?

J'en ai foutrement aucune idée.

« Tu vas bien ? je tente pour dissiper la lourdeur que je sens dans l'ambiance.
- Assez, oui. Pas mal de boulot, mon paternel qui me lâche enfin la bride, mes frères ont arrêté de venir chez moi pour faire leurs lessives. Je me sens presque adulte, maintenant. Et toi ? Asuma est revenu, tout va bien ?
- On fait aller. »

En vérité, Asuma est resté un mois supplémentaire au Galápagos. Plus pour se dorer la pilule que pour pleurer la mort de son vieux. Ce qui m'a donné l'occasion d'en faire plus que ce qui était prévu. Notamment de participer à la réunion bi-annuelle du groupe de presse. Occasion spéciale durant laquelle j'ai enfin pu montrer de quel bois j'étais fait.

« En fait, je bosse pour le mensuel que le groupe est en train de monter. Visiblement mes frasques étudiantes ne leur ont pas été communiquées. »

Voila, Shikamaru, les deux pieds dans le plat, comme toujours. Parler de sa jeunesse, ce n'est pas indispensable. Vu la tête qu'elle tire, je crois qu'elle est d'accord avec moi.

« Du coup, tu vas avoir moins de temps libre que ce que t'avais ou pas ? me demande Temari en relevant le nez pour me regarder en coin. »

Je sais pas où elle compte mener la discussion mais je prie de tout mon cœur pour qu'elle ne me fasse pas retourner en boite. Mon nez cassé a été une mesure préventive suffisante pour moi.

« Je me disais qu'on pourrait peut-être sortir ensemble un de ces soirs. »

Merde. Comment je me débrouille pour lui dire que non, aller en boite c'est plus mon truc depuis quelques temps ? Avec le bol que j'ai, elle va m'envoyer bouler pour toujours et ça sera foutu pour de bon avec elle.

« J'ai le sentiment de me faire trop vieille pour les sorties alcoolisées où on se réveille avec la tête dans le cul jusqu'aux épaules. Et comme j'en ai marre de passer mes soirées seule à regarder des émissions stupides, je me disais qu'on- »

Je n'écoute déjà plus vraiment ce qu'elle dit, un trop grand plaisir m'étouffant. Qu'elle ait les mêmes idées que moi, ça me sidère. Toutes ces années de désaccord et une seule phrase pour me mettre au diapason avec elle.

Puis elle attrape mes mains et me regarde dans les yeux.

« Tu sais que je trouve que t'es toujours autant un pauvre con, hein. »

Ouais, c'était prévisible ça.

« J'ai pas arrêté de remettre à plus tard nos rendez-vous uniquement parce que j'étais pas sûre d'avoir envie de te fréquenter de nouveau après toutes nos disputes. Je me dis que si je ne suis pas capable d'être honnête vis-à-vis de notre relation, alors ça ne sert à rien que je me prenne la tête avec toi. »

Le CrouneurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant