Chapitre 2: Contre la montre.

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  ~Me voilà en train de courir tel un chien apeuré. J'étais seule, seule face à ces arbres dont les branches immenses venaient chatouiller cette lune pleine de mystères. Tout autour de moi, je ne percevais que l'obscurité. Ma respiration se faisait forte et irrégulière. Je suffoquais, j'étouffais. Tout mon être criait la douleur qui persécutait mon corps chétif, mais je continuais à courir, à fuir. Je ne sais ce que je fuyais au juste. Un cadavre ? Un tueur en série ? Un monstre imaginaire ? Je n'en avais aucune idée, mais je savais que je devais m'éloigner au plus vite des ténèbres. Un pied devant l'autre, j'avançais aussi vite que mes muscles me le permettaient, c'est-à-dire lentement. Le silence de ce lieu m'oppressait quand tout à coup, un son strident sorti de partout à la fois. Il me semblait qu'il était dans l'air lui-même. Insaisissable. Puissant. Je ne supportais plus cette discordance. Mes jambes se dérobaient sous mon poids. Je me retrouvais à genoux, les mains plaquaient sur les oreilles, tout en fermant fermement les yeux et en me balançant doucement. Tout ce chaos devait s'arrêter. Je n'avais plus aucun contrôle sur mon corps, j'étais devenue un pantin.


  Peu à peu, des images m'assaillirent. Flou et rapide. Je me souviens à présent ce que je fuyais. C'était une voiture mangée par les flammes, avec à l'intérieur les cadavres de ma soeur et de ma mère. Le seul survivant de ce désastre était cet ours en peluche que ma soeur traînait partout. Il était un peu comme son ombre. ~


  Mon subconscient s'effaçait au rythme de mes larmes, pour laisser place à la réalité. Je redevenais maître de mon corps. Je vérifiai en tâtant mon entourage que j'étais toujours dans mon lit, serrant bien fort le nounours de ma défunte sœur. Oui, je sais, c'est une image pathétique, mais que voulez-vous c'est plus fort que moi. J'ai besoin de m'assurer que je ne suis pas devenue prisonnière de ce cauchemar. Ou plutôt devrais-je dire, afin d'être correcte dans mes termes, de ce souvenir. Cela faisait déjà un mois, deux semaines et une journée que tout avait été bouleversé dans mon existence.


  Une fois rassurée, je pris le peu de courage qui sommeillait en moi pour éteindre le « bip-bip » incessant de mon réveil. Là encore une journée de cours m'attendait. Je descendis donc d'un pas chancelant et jeta un rapide coup d'œil au temps. Il ne me restait que cinq minutes pour me préparer. Je pressais donc le pas vers ma salle de bains. Tant pis pour le petit-déjeuner, je n'ai vraiment pas le temps.


  Quand j'aperçus mon reflet, je ne pouvais faire autrement que de détourner le regard. Mes yeux étaient bouffis par le chagrin, mes joues rouges faute du sel que contiennent mes larmes et bien sûr, le dernier coup de pinceau à ce tableau pitoyable, un nez aussi rouge que mon bas de pyjama. Je ne supportais plus de voir l'ombre de moi-même. Je pris donc vite mes vêtements ~un maillot ample gris, un jean noir et mes vans blanches~ puis sortis pour me changer dans ma chambre tout en passant devant la pièce où mon père, James, dort encore d'un sommeil agité. Je pris donc le temps tout de même de l'observer dans la pénombre. Il est grand, maigre, chauve, et d'une pâleur effrayante. Quant à ses yeux, ils avaient perdu tout leur éclat datant afin de laisser place à des cernes bien dessinées et à un vide inquiétant. Cet homme brisé avait donc une allure cadavérique à cause de deux drames : son cancer et l'accident mortel du reste de notre famille qui avant s'élevait au nombre de quatre. Fatigué par toute cette mélancolie que me procurait cette scène, je partis m'habiller.


  D'un pas habile, j'attrapais ma veste kaki ainsi que mon sac eastpak et courus vers mon arrêt de bus. La chance était de mon côté, ou tout simplement le pur hasard, mais ce matin-là mon chauffeur fut en retard. Quelques minutes s'écoulèrent avant que le bus ne se montre accompagné d'un bruit assourdissant qui déchira le calme du matin. Perdu dans mes pensées, la musique hurlant dans mon esprit, je gravis les marches de ce dernier et vint m'installer aussi confortablement que je le pus dans le siège poussiéreux. Je posais la tête contre la vitre, fermais les yeux et oubliais tout. Je me laissais bercer par les vrombissements du moteur arrivant ainsi dans un état de somnolence.

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