Chapitre 21: Les aiguilles se sont arrêtées.

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Point de vue : James Isou (père d'Ana).


  J'avais perdu la notion du temps depuis un sacré moment. Je ne savais plus qui j'étais et pourquoi j'étais cloîtré dans ce lit, incapable de faire le moindre geste. Tout était flou dans mon esprit. J'aimerais me souvenir, comprendre pourquoi j'étais ici, perdu dans la pénombre. Seul. Désespérément seul. Alors, j'attendais. J'attendais que les souvenirs reviennent, que la vie s'empare de mon corps meurtri, que l'envie de me battre me sorte de cet état pitoyable. Voilà, c'était mon plus grand souci. Je ne faisais que ça de patienter. Je n'agissais pas. Je me laissais couler. Une fois de plus, je sombrais dans mon subconscient.


  Difficilement, je retournais à la réalité. Je pouvais sentir mon corps amaigrit par la maladie se noyer dans les draps. J'étais capable de ressentir la douleur de la perte étouffer mon esprit, m'écrasant les os, les broyant. J'avais tout perdu. Ma femme. Mes deux filles. Enfin, techniquement parlant il me restait un enfant. Le problème était que je savais pertinemment qu'elle me détestait et qu'elle me voyait comme un lâche, un faible qui n'avait pas su être là pour elle. Le pire était qu'elle avait raison. Ana. Elle avait perdu exactement comme moi ce jour-là et pourtant elle s'était relevée tandis que moi, je me laissais choir dans mon désespoir. J'étais pourtant censé être le plus fort de nous deux, jouer mon rôle de père. Malheureusement j'en avais était incapable et j'avais pris comme excuse ma maladie. Je m'étais convaincu que j'étais impuissant face à tout cela. Je m'étais menti à moi-même. Je l'avais abandonné, pensant qu'à ma propre souffrance. J'étais pathétique et l'univers me punissait pour cela. J'allais mourir d'un cancer généralisé et je savais qu'il me restait peu de temps.


  Vous voulez que je vous dise le plus déstabilisant avec cette maladie, c'est que vous savez que vous vous en sortirez pas. Vous savez pertinemment que vous allez mourir de la pire façon, laissant la pire image qui soit à votre famille. Un homme brisait. Un humain impuissant. Un cadavre ambulant. Tout simplement, un rien. Je me souvenais de manière assez flou ma vie avant que tout ne bascule. Des rires innocents de mes deux filles lorsque je leur faisais des grimaces. De l'amour qui luisait dans les yeux de ma femme. Du bonheur qui m'étouffait. Je savais qu'un jour tout allait changer, mais je ne pensais pas que cela aurait été si vite et surtout si fatal, si radical. Lorsque j'avais appris la terrible nouvelle, lorsque je savais que le cancer jouait avec moi à un jeu terriblement dangereux, j'avais littéralement dérapé. J'avais fui la réalité qui me pétrifiait au plus au point et j'étais allé me réfugier dans le monde brumeux de l'alcool. Ce soir-là j'avais fini au commissariat.


  Une fois que mon esprit était assez lucide, j'avais expliqué à l'agent de police ma situation. Il avait eu pitié de l'homme brisait que j'étais et m'avait relâché tout en marmonnant des conseils de prudence. Je savais désormais que je serais le spectacle de milliers de regards qui seraient inspirés par la pitié. J'étais rentré chez moi vers quatre heures du matin en larmes.


  J'avais appris la nouvelle à ma femme et elle aussi s'était mise à pleurer. Je me souviendrais toujours la manière dont ses yeux avaient perdu de leur couleur afin de devenir aussi pâle que sa peau translucide. Je venais de lâcher une bombe à retardement dans ma propre famille. Tout cela datait de quatre ans. Cette ambiance morbide et sans joie avait duré quatre ans. Ana n'avait que douze ans et Susan sept ans. Malgré leur jeune âge elles avaient compris la situation. Elles aussi avaient perdu la petite lueur de vie dans leurs yeux d'enfants. Je venais de détruire ma famille à cause de cette maladie et je m'en voulais tellement sachant que cela n'était que le début de leur trépas me concernant.


  Et maintenant, me voilà seul. Ma femme et Susan étaient mortes. Ana était partie en voyage à Paris pour les deux semaines de vacances. Quant à moi, j'étais en train de décrépir dans ce lit si grand pour une seule personne. Il ne restait plus que mes os, que mon ombre pour me définir. Et la mort me guettait. Elle se rapprochait de son allure élégante, ralentissant les battements de mon cœur. Je sentais le froid s'ancrer dans mon corps. Face à tout cela, une seule pensée me venait : j'avais tellement de remords sur la façon dont je m'étais comporté et je voulais lutter pour Ana. Je voulais résistais afin de lui dire à son retour à quel point je l'aimais et que je m'en voulais. De lui dire que j'étais si fière d'elle et que je serais toujours là à ses côtés. De la prendre dans mes bras et de sentir son odeur. De lui dire que tout allait bien se passer. Qu'elle était merveilleuse. Mais, je savais que cela n'était qu'un rêve fou. Je ressentais les pigments de la mort pénétraient mes cellules. Dans un dernier espoir, je pris le stylo qui se trouvait à mes côtés et griffonnais sur la feuille qu'Ana m'avait laissé. J'écris alors ceci :

« Ma chère fille, mon heure est venue. Je le sens. Ne pleure pas car je sais que tu t'en sortiras. Je suis tellement fière de toi. N'oublie jamais qu'importe là où je me situe, je serais constamment entrain de veiller sur toi, ta mère et ta sœur. Je t'aime d'une force insoutenable mon bonheur. James, ton père qui t'aime. »


  Le froid me submergea. La mort était à mon chevet. Dans un dernier élan, mon cœur battait pour la dernière fois et un soupir m'échappa afin de faire échos au mur. Le jeu venait de se terminer, le cancer avait gagné. Échec et mat. J'étais le grand perdant. Le stylo fuit ma main gelée et quand il fut en contact avec le sol, tout devint noir et austère. La mort m'enleva dans son royaume de cadavre et la vie périe.

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