Les jours anodins continuèrent à s'écouler tel le sable d'un sablier. Ennuyeux. Comme je ne voulais pas ressasser mon passé, je m'occupais continuellement. Je lisais beaucoup, m'investissais un maximum dans mes devoirs d'école, écoutais la musique et bien évidemment, je passais beaucoup de temps avec Anita à parler de tout et de rien. Mais le pire, c'était le week-end. Mon seul compagnon était alors le vide et le silence, me rappelant ma perte. Les infimes bruits qui venaient perturber cette monotonie étaient le frappement de mes pas sur le sol et une fois de temps en temps un soupir sourd venant de la chambre de mon père. Il se laissait mourir tout doucement, créant ainsi une ambiance morbide qui était imprégnée dans l'air. Cela dura un mois, deux semaines et quatre jours. Je ne vais pas vous décrire tout ce temps en détail, car vous en savez déjà les grandes lignes. De plus, cela serait long et sans intérêt. C'était une vie d'adolescente peu reluisante. Autant en venir tout de suite aux bouleversements.
Nous étions le vendredi seize décembre. Cela faisait maintenant trois mois que j'étais seule car, on ne peut pas dire que mon père était de bonne compagnie. Je venais de finir les cours par un contrôle de maths. Une fois mes affaires rangées, ma copie rendue et ma veste mise, je sortis pour me rendre à mon arrêt et attendre mon chauffeur. Tout était exactement comme d'habitude. Je croisais ces mêmes regards mornes dans mon bus, comme dans la ruelle qui menait chez moi. Et comme à chaque fois, j'avais une grosse envie de pipi. Je prenais donc rapidement le courrier, et me précipitais dans mes toilettes. Une fois soulagée, je m'assis dans la cuisine afin de jeter un coup d'œil à notre courrier. Je ne fus pas étonnée de voir des tonnes de pubs et des lettres recommandées qui nous menaçaient de nous couper l'électricité.
Je mettais ces lettres de côté et je me concentrais sur la dernière de la pile. C'était une enveloppe d'une matière étrange, rigide. À l'arrière se trouvait une écriture élégante sur laquelle je pouvais lire « Pour Ana Isou ». Étonnée, je l'ouvris en hâte. J'aperçus une carte blanche pliée en deux. Sur le dessus était écris de la même calligraphie que sur l'enveloppe « ouvrez-moi ». De plus en plus étrange, vous ne trouvez pas ? Cette carte contenait peut-être une bombe ou je ne savais quoi de mortel. J'hésitais donc quelques instants pensant à toutes les possibilités, mais vu que je suis de nature curieuse et imprudente, d'un mouvement fluide, j'obtempérais.
Au début, il ne se passa rien. J'étais figée devant une page blanche dont les bordures étaient décorées de fins fils dorés. Déçue, je songeais qu'une bombe ne serait pas une si mauvaise idée après tout. J'allais refermer cette blague, quand tout à coup, trois mots apparurent, tels des tâches noires. Ils me donnaient l'impression de flotter au-dessus de la carte. Prise de court, un hurlement m'échappa et vint briser en morceaux le calme de la pièce. Je regardais, la bouche ouverte ces mots, attendant.
Comme plus rien ne se passa, j'effleurai prudemment ces mots d'encre. À ma grande surprise, les lettres disparurent. Je retirai donc ma main d'un geste brusque , dont la peau était agressée par des piqures de froid, pensant avoir brisé le fonctionnement. Aussitôt, ils réapparurent.
Ne sachant quoi faire d'autre, je murmurais d'un souffle court ces trois petits mots : « Ma Chère Ana ». Au moment où le son de ma voix emplit la pièce, d'autres mots se déposèrent élégamment l'un à la suite de l'autre jusqu'à former une phrase bien tournée. J'étais ébahie et aussi excitée qu'une enfant qui apprendrait que ses parents l'amèneraient à Disneyland. Je continuais donc de lire d'une voix chancelante :
« -Ma chère Ana, je suis ravie de t'inviter au plus grand événement secret du monde. Il me semble que tu apprécies la lecture, n'est-ce pas ? Je te propose donc, au lieu de lire tous ces mots, ces phrases, ces chapitres, de venir vivre leurs histoires. Cela semble dingue, je sais, mais c'est bien réel. Tu peux désormais devenir ton personnage préféré, être qui tu veux, quand tu veux. Ta présence est obligatoire le samedi 24 décembre 2016 à neuf heures, à Paris, au pied même de la Tour-Eiffel. Tu passeras toutes tes vacances (quinze jours) en notre compagnie et avec celle des autres lecteurs comme toi. Je pense que tu ne pouvais rêver plus beau comme cadeau, je me trompe ? Ah oui, un dernier détaille, tes billets de train (pour le transport) sont au fond de l'enveloppe et ne t'embêtes pas avec tes affaires, nous avons tout prévu. Surtout, n'oublie pas de détruire ce papier. Ne laisse aucune trace de ce dernier. Un traceur est placé sur cette page, nous serons au courant si tu ne respectes pas cette règle.
Cordialement.
Wonderland. »
D'accord. Cela m'avait l'air tout aussi intrigant qu'étrange. Même dirais-je angoissant, vous ne trouvez pas ? Je ne savais pas trop quoi faire. Me rendre au rendez-vous, ou rester chez moi avec un père qui ne savait même pas que j'étais vivante, en tout cas, c'était l'impression qu'il me donnait. De plus, ici ma vie était tellement ennuyante, si je pouvais au moins passer un bon séjour pourquoi refuser cette offre ? Même si je l'avouais, ça ne ressemblait pas à une offre, mais plutôt à un ordre et ça, ça me dérangeait.
Mais bon, je vous l'ai dit, je suis de nature imprudente et intrépide donc, je pensais que je ne devais pas laisser passer cette chance. J'en étais même sûre. J'irai et j'abandonnerai mon père le jour de noël et de nouvel an. Ma décision était prise.
Je pris donc mes billets aller-retour au fond de l'enveloppe pour les posais sur la table. J'attrapai ensuite l'invitation afin de la remettre dans son étui. Suite à cela, je la jetai dans les flammes de la cheminée. Il ne restait que des cendres du début de mon aventure.
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Wonderland
FantasyQue feriez-vous si on vous proposait de réaliser vos rêves au péril de votre vie ? Accepteriez-vous ou déclineriez-vous poliment l'offre ? Je suppose que vous connaissez déjà ma réponse, pas la peine que je vous l'écrive noir sur blanc. Et oui, j'ai...