Jack

1 Je suis né dans la poubelle

Je suis né dans la poubelle, enfin presque. Je gigotais là-dedans, j'avais chaud, j'avais soif. Ça ne sentait pas mauvais, ça sentait la poubelle. Il faisait noir et je ne savais pas ce que je faisais là, ni combien de temps cela allait durer. De temps en temps je poussais des petits cris pour appeler ma mère. Aucune réponse, elle n'était pas dans ce trou. Mais quelqu'un qui passait a entendu ces petits cris et à soulevé le couvercle. J'ai été aveuglé par la lumière. Je vis quand même une grosse tête ronde à contre-jour et une main potelée qui s'avançait vers moi. Je ne savais pas si je devais mordre ou me mettre sur le dos pour que cette grosse main me chatouille. Elle m'a sorti par la peau du cou, comme on fait avec les chats. Je ne devais pas être très appétissant, sorti des peaux de bananes et épluchures pourries.
Maintenant que j'étais habitué à la lumière je voyais  distinctement le visage assez disgracieux de la femme. Son expression était entre le dégoût et la compassion. Mon sort était incertain. Je lui lançai alors un regard plein de tendresse comme si c'était ma mère. L'effet attendu ne s'est pas produit: elle fit une sorte de grimace, soupira et me jeta dans le fond de son panier. J'avais toujours faim et soif, ce qui a mon âge était la même chose. Il faisait chaud et le trajet fut interminable. D'ailleurs je ne voyais rien au fond de mon panier. De temps à autre j'entendais passer une voiture. Puis j'ai entendu une clef que l'on tourne dans une serrure, et le grelot antédiluvien d'une porte de magasin. Si elle avait tourné une clef avant d'entrer c'est que ce magasin lui appartenait. Elle posa le panier sur un comptoir et s'éloigna un instant.
- Bon du lait, à ton âge tu dois encore boire du lait.
Pour la première fois j'entendais sa voix, un peu engorgée.
Je n'avais rien compris, j'étais trop jeune, je n'avais pas encore appris le langage des humains. Puis elle est en effet revenue avec du lait dans un biberon, un jouet qu'elle avait trouvé dans sa boutique mais qui faisait parfaitement l'affaire. Je crois que j'ai descendu tout le biberon. Au début je trouvais que ça avait un drôle de goût, rien à voir avec le lait de ma mère, puis j'ai oublié et j'ai tout bu, à m'en faire péter la panse. Après j'avais sommeil, très sommeil. Mais au lieu de me remettre au fond du panier elle m'a emmené jusqu'à la salle de bain et elle m'a déposé dans le lavabo avant de faire couler l'eau et de me savonner. Elle faisait cela sans ménagement, avec un regard dur. Elle pouvait encore décider de me noyer dans le fond du lavabo. Mais non, elle a attrapé une serviette et elle m'a séché. Puis elle m'a remmené dans le magasin et m'a installé sur un vieux chiffon tout doux. Je me suis endormi.