2 Le vieux chiffon

43 3 0
                                    

J'ai grandi dans le fond de la boutique sur mon vieux chiffon. Il y faisait sombre et c'était plein de poussière. La rotation du stock était particulièrement lente et personne ne déplaçait jamais les objets entassés sur les étagères. Je ne comprenais pas vraiment à quoi tout cela pouvait servir. Parfois des clients rentraient. Lorsque j'étais dérangé dans mon sommeil je me mettais à grogner. La patronne me lançait:
- Tais toi Jack!
Et si je ne cessais pas assez vite je prenais un coup de pied, un gros pied chaussé de tongues. Ça ne faisait pas mal, c'était juste vexant.
Les clients ne venaient pas chercher de la marchandise, ils venaient chercher des clefs, ou les ramener. Je ne comprenais pas ce trafic de clefs. Je ne comprendrais que plus tard. Je me dressais sur mon séant,  j'étendais le cou pour observer ce trafic de clefs par dessus le comptoir. Cela faisait un joli bruit. Souvent la patronne sortait sur le pas de la porte avec les clients et se lançait dans de grandes explications.
- C'est très simple, à la fourche, au bout de cette rue, vous prenez à gauche puis vous suivez tout droit, toujours tout droit, jusqu'à un panneau sur la gauche, c'est indiqué. Je faisais le tour du comptoir, pour suivre la conversation, et quand elle avait fini je retournais vite fait sur mon vieux chiffon, de peur de me prendre un nouveau coup de pied.
Parfois ce n'était pas des clients qui venaient mais une copine ou une voisine. Celle qui venait le plus souvent c'était la femme du restaurateur installé juste en face, dans la rue principale du village.
La première fois qu'elle m'a vu elle s'est exclamée:
- Comme il est mignon! Il est vraiment beau! C'est un chien de race?
- Je crois répondit la patronne.
- Et c'est quoi comme race?
- C'est un Jack Russell...
- Un jack Roussel?
- Russell...enfin ça y ressemble, c'est quand même un chien trouvé.
Je ne ratais pas une miette de la conversation.
C'est comme ça que j'ai appris que je n'étais pas un bâtard mais un chien de race. Ce début d'existence incongrue était un simple hasard. Je valais beaucoup mieux que ça. J'avais envie de japper tellement j'étais content. Je me suis retenu, pour ne pas prendre un coup de pied.

JackOù les histoires vivent. Découvrez maintenant