16 La corrida

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Généralement ils font ça dans la chambre et tirent les rideaux. On entend parfois des petits couinements puis un cri rauque. Des fois on entend juste le lit grincer un peu, et c'est tout. L'eau coule dans le lavabo et peu après des ronflements montent dans la nuit.
Mais il arrive aussi que des clients aient une sexualité débridée et aucune pudeur.
Je pense en particulier à un couple qui n'hésitait pas à faire ça en plein jour, sur la terrasse de la maison, lorsque les autres clients étaient partis. Les trois maisons sont assez isolées dans les collines et si une voiture venait on la voyait monter par le chemin.
Ils se disaient qu'ils avaient le temps de s'enfuir dans la maison au cas où quelqu'un viendrait.
Donc c'était une sorte de corrida qui durait assez longtemps avec toute sorte de passes. L'idée de la corrida me vient parce que la femme, Anna, ressemblait plus à un taureau qu'à une gentille génisse aux yeux doux. Elle avait les jambes épilées et une poitrine opulente mais sa haute stature, ses formes imposantes, ses cheveux noirs et ses chaussures rouges en faisaient un animal impressionnant, tout en muscles. Son mari, Alfonso, était d'un gabarit bien inférieur mais maniait la cape et l'épée avec dextérité. L'épée surtout, et lorsqu'il l'avait planté dans le corps du taureau ce dernier émettait une sorte de miaulement qui ne manquait pas de me surprendre. Quinze fois ils faisaient le tour de l'arène et ne s'arrêtaient que pour boire. Dans la chaleur de l'été ils suaient comme des bêtes. Ils faisaient comme si je n'étais pas là et plus d'une fois je dus sortir de mon coin d'ombre pour ne pas me faire piétiner au passage. Je me sentais une certaine connivence avec ce jeune mari - mais étaient-ils mariés? -. Comme lui j'aimais les grandes chiennes, beaucoup plus grandes que moi. Je dois dire que toutes ces corridas eurent le don de m'échauffer.
Évidemment pour assurer la descendance de la noble lignée des Jack Russell j'aurais du trouver une femelle ayant les quartiers de noblesse requis, douce et aimante, et qui aurait livré une belle portée de chiots. Mais ça c'était pas dans mes rêves et pour le moins improbable dans ce coin reculé de Crète. J'avais depuis longtemps chassé cette idée de mon esprit, d'autant que ces affaires matrimoniales sont en réalité gérées par les hommes.
Comme pour ces vacanciers un peu spéciaux , je pensais que l'été était la saison du plaisir, pas nécessairement de la reproduction. Je me suis mis en chasse en pensant qu'en dépit de la chaleur torride je pourrais bien moi aussi faire un peu de sport plutôt que de rester toute la journée dans un coin d'ombre.

Les grandes chiennes sont parfois complaisantes, quand l'envie les taraude, parfois hautaines et distantes, me regardant avec pitié et condescendance ce qui me met dans des rages folles. Les occasions sont évidemment rares même en allant jusqu'au village dont je connais toute la population canine, mâle ou femelle.
Le jeu n'en vaut pas toujours la chandelle car les chiennes sont enfermées par leurs maîtres et je ne croise que des chiens prêts à se battre pour passer le temps, esquinter un concurrent potentiel, et trouver un dérivatif à leurs frustrations.

C'est exactement ce qui se passa quand je suis allé au village après une corrida de fin d'après-midi qui m'avait chauffé jusqu'à l'incandescence. Arrivé au village la langue pendante j'ai trouvé les rues désertes et je me suis fais courser autour de l'église par deux batards mal léchés qui voulaient me faire la peau. Je suis rentré la queue entre les jambes.
En arrivant, pour me soulager de mes frustrations et répondre à l'impolitesse des clients (consistant à faire comme si j'étais aussi insensible qu'une pierre, un élément de décor ou une fleur ballotée par le vent, alors que je devais parfois me pousser pour ne pas me faire marcher sur les pieds) je me suis vengé sur un coussin qui trainait par là.
Je crois que cela les a fait bien rire. Pour la première fois ils se sont rendus compte que je n'étais pas une pierre et au fond ils se fichaient pas mal que je maltraite ce coussin qui ne leur appartenait pas.

JackOù les histoires vivent. Découvrez maintenant